“The Big Lebowski” n’est pas un film sur le bowling

Certes, Jeffrey Lebowski, alias le Duc, traîne ses guêtres dans les allées du bowling local, bière à la main et robe de chambre en guise de tenue de combat. Mais le bowling n’est qu’un décor, un espace où se rejoue l’absurdité du monde, où s’échouent les âmes perdues de Los Angeles. Un lieu de rendez-vous, pas un but en soi.
Ce n’est pas non plus un film de gangsters. Certes, il y a une rançon, un kidnapping foireux, des hommes de main grotesques qui jouent les durs, mais la structure même du film déconstruit toute notion de polar classique. Ici, l’enquête avance en roue libre, au rythme des joints du Duc, des colères de Walter Sobchak et des riffs de Creedence. Rien n’a de réelle conséquence. L’argent ? Volatilisé. La violence ? Souvent absurde.
L’intrigue ? Une vaste blague.The Big Lebowski n’est pas un film sur un loser. Le Duc est fauché, il passe son temps à boire des russes blancs, à jouet au bowling, mais il a quelque chose que personne d’autre n’a : la liberté absolue. Il ne cherche ni succès, ni richesse, ni reconnaissance. Il est l’anti-héros parfait, celui qui refuse de jouer le jeu du capitalisme, des apparences, du sérieux. C’est un moine zen en peignoir, un Candide sous acide, un cowboy du nihilisme joyeux.
Ce n’est pas non plus un film sur la blonde Bunny. Certes, son enlèvement déclenche l’intrigue, mais elle n’est qu’un prétexte. Bunny est un fantôme, une ombre de la société du spectacle, une présence aussi superficielle que l’argent qu’elle incarne. Tout tourne autour d’elle, et pourtant elle reste insaisissable, réduite à une idée plus qu’à un personnage.
Et surtout, “The Big Lebowsk”i n’est pas un film sur le Vietnam, même si Walter Sobchak ne cesse d’y revenir, incapable de dissocier sa propre existence de cette guerre que, mentalement, il n’a jamais vraiment quittée. Chaque discussion finit par une diatribe sur la trahison, sur les règles bafouées, sur l’honneur perdu dans un monde qui ne respecte plus rien. Le Vietnam, chez Walter, est un prisme déformant à travers lequel il analyse tout, y compris une simple partie de bowling. Surttout quand un concurrent mord sur la ligne !
Alors, de quoi parle “The Big Lebowski” ? Peut-être de ce qu’il reste quand on refuse les injonctions de la société. Un manifeste du lâcher-prise. Une célébration du chaos. Une méditation pop sur l’absurdité de l’existence. Et surtout, une preuve que, quoi qu’il arrive, le Duc se la coule douce.