Guy Darol "La musique est le meilleur de la vie"
Collaborateur à “Jazz Magazine” et à “Muziq”. Auteur d’une dizaine d’ouvrages dont Frank Zappa ou l’Amérique en déshabillé (Le Castor Astral éditeur, 2003) et Zappa de Z à A, avec Dominique Jeunot, (Le Castor Astral éditeur, 2005). Dernier ouvrage paru : “Joseph Delteil brille pour tout le monde”, Samuel Tastet éditeur, en 2006.
Depuis quand jouez-vous d’un instrument ?
Après avoir joué du moulin à musique orné d’un petit train transportant guitares, trompettes, tambours ; après avoir tapoté le bois des tables, pizzicato ou avec une règle d’ébène ; après avoir usé mes paumes sur des peaux de bongos puis la pruine de mes doigts sur une increvable Epiphone, je me suis résolu à chanter (ou plutôt glapir) devant une triade rock, au fond d’un garage. Dans un dernier soubresaut coïncidant avec les signes avant-coureurs d’une inébranlable nostalgie, je me suis remis à percuter, cette fois dans la cave-studio d’un pavillon de banlieue chouette. J’y retrouvais de belles pointures dont je dois taire l’état civil. Certaines figures notoires pourraient en effet éprouver un certain malaise au souvenir de séances que je m’ingéniais à faire dissoner. C’est à cette époque que je me suis intéressé sérieusement au bruitisme (Kurt Schwitters, Hugo Ball, Luigi Russolo, Fluxus…). Dès lors, la musique n’était plus un jeu mais un sujet d’étude. Disons, pour résumer, qu’à l’instar des génies qui débutent à 4 ans, j’ai commencé à pratiquer le moulin à musique au même âge (très tôt le matin) et qu’à présent je peux soutenir avec brio et désinvolture une joute au moulinet.
Vous vous souvenez de la première chanson que vous avez écrite et/ou composée ?
Très bien. C’était dans le bus 96, probablement du côté de la rue de Turenne. Coiffé d’une casquette à carreaux que m’avait offert Maurice, un voisin chapelier, je m’étais soudainement levé. Juché sur la moleskine, j’avais improvisé une chanson. En retour, je reçus quelques bonbons, quelques applaudissements. J’avais quatre ans. Cette chanson trotte encore dans ma tête.
Quelle est la place de la musique dans votre vie ?
Ayant été élevé par un poste de radio, je crois pouvoir dire que la musique occupe la place qui est à peu près celle du cœur, siège de la pulsation. Dire que la musique occupe une place dans mon œuvre, revient à évoquer mon intérêt antédiluvien pour Frank Zappa et les trois ouvrages que j’ai consacré à l’immensurable compositeur. Et n’oublions pas mes contributions à “Jazz Magazine”, à “Muziq” ni le rôle que joue l’oreille dans la plasticité de la phrase.
Quel est le premier disque que vous avez acheté ?
Sans l’ombre d’un doute, il s’agit du “Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band”. Le LP venait tout juste de sortir (nom d’un petit bonhomme mais cela nous projette 40 ans en arrière !) et je conserve le souvenir du bleu céruléen sur le ciel de la rue Saint-Antoine au moment d’entrer dans la boutique. Il y avait là, sur le trottoir de droite menant à la Place de l’Hôtel de Ville, face à une fontaine Wallace indéboulonnée et à un cinéma aujourd’hui disparu, un magasin de disques logé dans un couloir. Deux cabines permettaient d’essayer l’album. À cette époque, j’étais le garçon aux cheveux les plus courts du monde.
Si vous partiez sur une île déserte quel disque emporteriez vous ?
S’il fallait en emporter un ce serait The Grand Wazoo de Frank Zappa et cela m’isolerait dans un temps, l’année 1972, où je m’évadais du lycée Voltaire pour aller écouter cet album avec mes camaros en fuite. On étudiait alors vraiment, quatre heures par jour, à l’exception des dimanches. Par largesse, si l’on me permettait un deuxième compagnon, ce serait I Hear The Water Dreaming de Toru Takemitsu. Pour ne plus être prisonnier du temps.
Vous téléchargez de la musique ? des singles ? des albums entiers ?
J’ai la chance de recevoir des albums promo et celle de fréquenter la boutique d’un disquaire indépendant qui connaît mes goûts, y compris mes dégoûts.
Premier souvenir de concert ?
Hurricane Smith dans un dance hall de Salisbury (Wiltshire). Sans doute se souvient-on de Norman Smith, l’ingénieur son de “Rubber Soul” et producteur de The Piper At The Gates Of Dawn. Au début des années 70, j’ignorais tout de cette bio fortiche. Je ne connaissais que “Don’t Let It Die”, un smash hit de transistor : “The mountainside, the flower grows / The riverside where the water flows forever / The jungle life of mystery / The wide and graceful history of life / Don’t let it die / Don’t let it die…”.
Quelle est la ou les plus grandes claques prises en live ?
Le concert des Mothers Of Invention, le 10 septembre 1973, à La Villette. Bancs de bois, colonnes de fonte. Je découvrais Zappa sur pied mais aussi George Duke, Ian et Ruth Underwood, Bruce et Tom Fowler, Ralph Humphrey, Jean-Luc Ponty. Quinze ans après et à quelques mètres des anciens abattoirs, Zappa livrait son dernier round, toujours en compagnie de Bruce Fowler. Signe fort : le synclavier est au devant de la scène. Lorsque je pense à ces deux journées de mai 1988 au Zénith : émotion invariable. En jetant un coup d’œil mouillé sur les concerts qui ont marqué ma vie, je vois Benny Golson, d’abord au New Morning, ensuite au Trabendo. Ce compositeur de chefs-d’œuvre (“Along Came Betty”, “Reggie”, “Five Spot After Dark”, “Whisper Not”…) n’avait-il pas distrait ma jeunesse avec Blues March, le prélude musical de mes dimanches sportifs au temps que la télévision distribuait une seule chaîne ?
Pour vous qu’est-ce que la musique ?
Une aide solide aux heures les plus fuligineuses. Le meilleur de la vie.
lundi 4 juin 2007
Blog : Guy Darol Agitateur Conseil (www.guydarol.com)
