"Ondes de choc"
Chaque soir, Laurent Lavige anime “Ondes de choc” sur France Inter. Une émission coincée entre le “L’instant bleu” de Thierry Dugeon et “Allô Macha” mais plutôt décoincée au niveau ouverture d’esprit. Une émission sans barrières ni frontières, cela ne pouvait que nous intéresser… Rencontre avec Laurent Lavige.
Maison de Radio France, jeudi 23 janvier 2003, 18 h 00. Laurent Lavige est dans son bureau de France Inter. Les bureaux de la station sont comme une petite ruche remplie de petites abeilles travailleuses de la radio. Laurent Lavige sort de son bureau, et avec un sourire d’enfant, tend le doigt vers une porte vitrée, en direction de la tour centrale de la maison-fromage : “Tu vois, au bout de ce couloir, il y a la discothèque de Radio France : sur cinq étages, tu as des dizaines de milliers de références : des disques acétone, vinyl, du CD… c’est la plus grande discothèque d’Europe.“
La visiter ? N’y pensez même pas. Mais pour les animateurs passionnés de musique, c’est une mine : “Moi qui suis un vrai scanner, poursuit Laurent, je peux repérer dans un morceau un riff de guitare ou une rythmique qui sont un repompage d’un vieux truc ; parfois je mets des heures à retrouver quel morceau a été pillé, je n’en dors plus la nuit, mais je sais que quand j’aurai retrouvé le nom, je peux à coup sûr le retrouver dans la discothèque.“
“Le jour, les gens entendent, le soir il écoutent.”
Ce jeu du “qui a pompé qui ?”, Laurent Lavige en avait même fait une rubrique de sa précédente émission, “Play List”, l’après-midi en semaine. De temps en temps, il s’amusait à diffuser un titre… puis l’original, façon de démontrer qu’en musique, le pillage existe aussi. C’est grâce à “Play List” et à son créneau “exposé” qu’on a commencé à entendre parler de Lavige, une voix grave et intelligente, une encyclopédie de la musique tout sauf emmerdante : “Play List s’est arrêté, parce que je voulais faire une émission le soir, parce qu’avec la musique, ça s’y prête : le jour, les gens entendent, le soir il écoutent. De son côté, la direction d’Inter s’est dit que c’est plus judicieux de me programmer le soir. Notamment pour accrocher les futurs auditeurs d’Inter : on a beaucoup d’étudiants qui, à cette heure là, sont devant leur ordinateur, en train de réviser leurs cours.“
Spécialiste de rien et curieux de tout.
Si les auditeurs se retrouvent dans ce que propose Lavige, c’est sûrement parce que sa sincérité transpire dans l’émission. “Je ne fais pas de différence entre les générations, je veux tisser des liens entre les âges, explique-t-il. Je connais des gens de 30 ans et des gens de 60 ans, et en musique c’est pareil : j’aime autant les vieilleries que les choses ’under’ récentes. Je suis contre le formatage, parce que je suis comme les gens qui m’écoutent : chez soi, on écoute Bach, puis du Massive Attack, puis Sly and the Family Stone, et on finit avec du Cabrel. Je me suis dit qu’il y a forcément des gens comme moi, spécialistes de rien et curieux de tout.“
Se définissant comme un monomaniaque de la musique, Laurent Lavige dit avoir été bercé dans la chanson française pendant son enfance. “En 72, j’ai eu un choc lorsque mon frère a rapporté à la maison “Harvest” de Neil Young, confie-t-il. Là, j’ai plongé dans le folk. Ensuite j’ai découvert d’autres genres.” Mais Lavige, qui est aussi volage, est du genre à superposer les styles, pas à quitter l’un pour un autre … “Les grands écarts, ça ne me gêne pas, explique-t-il. Du coup, les gens qui doivent parler de l’émission ne savent pas où me ranger. Dans la vie, je peux parler de tout : si tu me lances sur Hallyday, je peux t’en parler pendant trois jours !” Caméléon, Laurent ? “Oui, aquiesce-t-il. J’en parlais une fois avec Ben Harper. Lui dit de ses albums ’le fil conducteur, c’est moi.’ Dans le cas de mon émission, le dire serait prétentieux. Le problème, c’est que c’est un peu ça…“
“Les auditeurs me tutoient. Je suis leur pote.”
Laurent Lavige le reconnaît bien volontiers quand on le lui dit : “Ondes de choc” est une émission impossible à mettre à l’antenne en FM. Et être coincé entre “Le Pop Club” et “Macha”, deux émissions où l’on parle, est-ce un problème ? “Ce serait à la direction des programmes de répondre“, tranche Lavige, qui est ravi de son horaire. “Dans ’Ondes de choc’, il y a un peu moins de commentaire que dans ’Play List.’ Il y a souvent un artiste invité pour une interview, mais on fait ce qu’on veut. Un soir, il peut avoir quinze disques que j’ai écouté dans la journée et sur lesquels j’ai craqué.” Les auditeurs ont vraiment l’impression d’écouter une cassette-compil préparée par un ami, qui aurait inséré quelques commentaires : “Ceux qui m’écrivent me tutoient. Je suis leur pote“, explique l’animateur.
Lavige travaille avec le programmateur Jean-Michel Montu et avec la play-list de la station (4 titres par émission sont issus de la sélection des programmateurs maison, qui compte 80 disques par semaine). A la fin de l’année 2002, il a organisé un concours de mix dans l’émission. Le but : mettre à l’épreuve un technicien en lui proposant de mixer deux titres qui n’ont rien à voir ensemble. Les auditeurs votaient. “C’était pour mettre en avant les gens de France Inter, les techniciens surtout. Pour faire comprendre qu’il y a des hommes et des femmes derrière les manettes.” Sympa, cet animateur qui souhaite un instant s’effacer au profit des équipes. Ce concours dit aussi tout l’amour que Lavige porte au mix : “Pour moi, le mix, c’est un art, c’est comme le travail d’un peintre avec ses couleurs. Ou comme le maquillage : c’est réussi quand on ne le voit pas. Chez moi, je mixe. J’ai tout le matériel pour, et je peux passer des heures à chercher un disque qui commence par la note “la” si le précédent finit sur cette note.“
Lavige est un grand collectionneur de disques : (“Dans les années 80, j’achetais tout“), qui a longtemps fréquenté Disco Parnasse : “J’y claquais des fortunes. J’y suis retourné il y a un mois, après vingt ans. Le patron ne se souvenait pas de moi, il m’a fait écouter des trucs house. Il y avait des gamins, j’ai parlé des disques avec eux. Je leur ai donné le noms de certains samples sur des disques.” C’est aussi un fan de compilation privée : “Les gens me demandent de préparer un CD mixé lorsqu’ils font une soirée. Je prépare quelque chose de différent selon la personnalité de chacun.” Avis aux maisons de disques qui cherchent une oreille avertie : “Je pense que je serais un bon compilateur, explique Lavige, ça m’éclaterait bien. Mais il faut que ce soit mixé, sinon, ça n’a aucun intérêt.“
Il a commencé sa carrière comme DJ dans sa cité
On reconnait bien là celui qui a participé au championnat de France des DJ en 1984. Ou le même qui faisait un sound-system depuis sa chambre dans une cité de Champigny-sur-Marne, pour faire profiter tout le quartier de sa musique : “Je faisais ça après les devoirs. J’arrosais la cité, les mecs venaient me demander tel ou tel morceau, je faisais des messages au micro pour les filles.” Lavige a aussi connu l’expérience des disco-mobiles : “Comme je faisais du sport en club, j’ai pas mal bossé dans ce milieu. J’animais les galas de clubs de hand ball et de rugby.” Puis ce furent les boites de nuit : “On m’appelait pour ’remonter’ des boites. Au bout de six mois, quand la boite était blindée, je passais la main à un pote.“
On imagine bien notre mordu de musique passer sa vie l’oreille collée au poste quand il était ado : “Je n’avais pas tellement de modèles en tant que personnes, explique-t-il, mais plus d’émissions : ’Smith & Wesson’ sur Radio 7, vers 81-82. Ils passaient de la dance et de la black music. Il y avait aussi Rocky Chignole sur Radio 7 … et Sydney ! Son émission était un vrai foutoir tellement il y avait de gens en studio. Il n’arrêtait pas de rapper, même entre les disques. J’adorais le rap US à cette époque. J’écoutais aussi Coluche sur RFM, mais il était souvent brouillé par le gouvernement car la station était interdite. George Lang sur RTL, et Blanc-Francard sur France Inter avec ’Loup garou.’ Mais je n’étais pas un enfant d’Inter : mes parents écoutaient RTL et Europe 1.“
De RFM à Inter, en passant par… NRJ !
Une ligne surprend sur le CV de Laurent Lavige : son passage à NRJ. “C’était un pied de nez. Entre 86 et 89, je bossais à RFM. C’était le rêve pour moi : être sur cette radio que j’adorais, avec des mecs de quarante ans qui connaissaient la musique américaine sur le bout des doigts. J’ai appris à raconter les histoires des musiciens et des albums. C’était une certaine idée de la radio et musique. Un jour, les Anglais ont racheté la station, c’est devenu FM : on a commencé à programmer Mylène Farmer. J’ai commencé à me dire : ’quitte à passer Farmer, autant aller chez ceux qui savent le faire.’ Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Max Guazzini d’NRJ qui me dit : ’Debanne se barre en télé, il y a le créneau 10 h-12 h de libre, tu vas le faire.’ J’ai mis en pratique ma boutade et j’y suis allé. J’ai fini sur RFM le dimanche soir, et le lendemain matin, j’étais sur NRJ.” Il paraît que ce jour-là, dans les bureaux d’RFM, tout le monde était branché sur NRJ.
“Le problème, poursuit Lavige, c’est qu’NRJ voulait ma voix, pas que je parle des artistes. Je l’ai fait une fois : Max Guazzini m’a appelé pour me dire ’tu sais, on ne veut pas que tu racontes qu’untel a enregistré son album avec machin ; contente-toi de séduire les auditrices.’ Ensuite, j’ai bossé en pub ; je faisais jusqu’à quatre séances par jour. Je suis arrivé à Inter en 1990, d’abord comme comédien, puis j’ai fait une maquette, avec un climat nocture. Je suis allé poser la cassette sur le bureau de Pierre Bouteiller, qui était directeur à ce moment là.“
Et le destin s’en est mêlé : “Deux jours après, Bouteiller m’appelle en me demandant où j’avais enregistré cette cassette. J’avais fait ça dans une pièce chez moi mais l’acoustique était paraît-il formidable. Pour plaisanter il m’a même dit ’on va tirer un câble entre Radio France et chez vous.’ C’est comme ça que je me suis retrouvé à faire un remplacement en juillet-août 90. Bouteiller m’avait prévenu : ’vous faites cet été, mais je ne vous reprends pas en septembre.’ Le 29 août, coup de fil de Bouteiller : ’je n’ai rien pour vous mais je veux vous garder. ne prenez aucun engagement ailleurs.’ Il m’a trouvé un créneau.” Et des créneaux, Lavige en a connu : la nuit le week end, un peu plus tôt en soirée en semaine (juste avant Macha déjà), puis ce fut “Zone de turbulence” pour trois heures de programmes dans la nuit du samedi au dimanche, et “Play List” l’après-midi. Mais Laurent Lavige s’écoute mieux le soir.
Douze ans après avoir intégré Inter, Lavige est à la case qui lui convient, dans l’émission qui lui ressemble. Son rythme de travail lui laisse-t-il le temps de surfer sur le net ? “Je n’ai pas du tout le temps d’écouter quoi que ce soit sur le net, coupe-t-il. J’ai trop de disques à écouter. Et puis le côté tactile me manque. Le passage du vinyl au CD a été un souci, alors le MP3… Pour moi, un disque, c’est un objet. Et puis ça représente deux ans de travail pour l’artiste.” Aujourd’hui, Lavige ne mixe plus en boite, mais il a d’autres occupations quand il n’est pas devant le micro : il programme le festival “Autour du blues” de Binic, a coécrit “Tendance rasta” avec sa compagne Carine Bernardi, et dirige la collection de livres “Librio Musiques”. En se faisant plaisir à l’antenne, Lavige fait plaisir à son auditoire. Lui qui refuse le formatage arrive à ratisser large en satisfaisant toutes les chapelles. C’est ce qui fait la valeur de ce programme nocturne.
“Ondes de choc”, sur France Inter du lundi au jeudi de 23 h 00 à 00 h 00.
