Dominique A "Auguri"

Il semble que près de dix ans après avoir commencé sa carrière Dominique A a trouvé le style qui lui convient le mieux… Pour tenter de comprendre, remontons le passé.
Tout commence en 1992 avec un album à la pochette noir et blanc : un visage pris de très près, et un nom, rouge sang, comme une signature, “Dominique A.” Cet album, c’est “La Fossette”, un premier opus où Dominque Ané n’avait presque pour seul accompagnement qu’un rustique orgue électronique. Le disque a été enregistré à la maison, mais déjà, son talent pour les textes était là : il chantait “va t’en si tu m’aimes encore un peu.” Cet album-bricolo, enregistré dans sa chambre, lui colla d’abord une image minimaliste dont il dut se défausser pendant des années.
Puis vint le temps des orchestrations plus hardies, de la scène avec Françoiz Breut comme choriste, et des chansons plus guillerettes dans la forme mais fielleuses dans le fond (“Le twenty two bar”, “Il ne faut pas souhaiter la mort de gens” parce que justement, ça les fait vivre plus longtemps) sur “La Mémoire neuve” en 1995. L’année suivante vit un coup d’éclat qui est encore dans toutes mémoires : lors des Victoires de la musique, il interpréta des paroles du “Twenty Two Bar” spécialement écrites pour l’occasion. Dominique A avait frôlé le tube, avec cette chanson, c’est donc tout naturellement qu’il livra avec “Remué” un album tout aussi abrasif dans les musiques que vachard dans les mots (“Si nous nous croisons en enfer, espérons qu’on l’ait mérité, que toutes les horreurs qu’on a faites, aient toutes été bien recensées, parmi celles dont on était fier”). Un disque que d’aucun trouvèrent repoussant. Mais ce n’est jamais qu’avec une sorte de “Remué” sous des dehors plus policés que Dominique A nous revient avec “Auguri”. Des dehors policés qui commencent par le titre même de l’ouvre : “bonne année” en italien. Bienvenue donc dans le petit monde de Dominique A.
Attention, l’auteur n’a pas rangé son fourbi pour vous mais il a fait assez de tri pour que vous puissiez en visiter les méandres. Des méandres, oui, car même s’il affiche un gentil sourire sur la pochette, Dominique en dit des choses fortes : “c’était des temps obscurs, tête contre un lavabo, traité comme une raclure quand tu voulais” (“En secret”), “Les hommes entre eux mentent à des femmes” (“Les hommes entre eux”), “mon tout dernier regard se portera sur tes fesses où je cachais le plus précieux de mes magots” (“Je t’ai toujours aimée”), “l’amour sait se blinder, il n’a jamais dans les égouts, le nez bouché” (“Où conduit l’escalier”). Mais même quand il dit les mots sans détour, noir sur blanc, Dominique A arrive à les rendre dans une violence en demi-teinte, à les minimiser, à les rendre moins graves. Alors que sur le papier, ils paraissent péremptoires, ils sonnent dans sa bouche d’une ordinaire justesse. Quand il dit “avant de vomir mes adieux et de m’écrouler comme un vieux poivrot” (sur une chanson dont, on ne sait pas pourquoi, les paroles ne sont pas reproduites), il chante cela d’un ton badin, et on l’écouterait presque sans sourciller. Ce sont des chansons à retardement, que l’on écoute d’une oreille distraite au début, et puis l’attention est captée et le déclic arrive : Dominique A emploie des mots comme “vomir” ou “poivrot” mais avec distinction, et nulle oreille n’en est choquée à la première écoute. Parfois, il est aussi question de peau, de corps qui se frôlent, les relations humaines sont toujours troubles dans ces chansons là… Et puis parfois, ce sont des chansons plus gaies : “Les chanteurs sont mes amis”, “Les enfants du Pirée” (reprise du célèbre titre de Dalida).
Le producteur John Parish a pris sa guitare sur plusieurs titres, et l’on entend aussi du cornet, un instrument qui donne une couleur mélancolique aux titres sur lequel il est présent, comme “Où l’escalier conduit.” Dominique A excelle dans la peinture (à la truelle) de l’amour vache, des sentiments pas vraiment bas mais pas non plus très honorables. Puisque le Nantais aime parler de la mer (“Burano”), disons que grâce ou à cause des ses textes, il navigue dans cette zone floue entre respect de la bienséance et envie de devenir (ou de se révéler ?) tête de pioche. Vrai gentil ou faux méchant, là n’est pas la question puisque Dominique est un artiste réellement talentueux. Et plus les années passent, plus ça se confirme.
*****
Dominique A “Auguri”
1 CD (Lithium/Labels), 2001