Matmos “A chance to cut is a chance to cure”

Matmos frappe à nouveau, mais cette fois, avec des scalpels. Le duo inséparable, Drew Daniel et M.C. Schmidt, vient de livrer un album conçu comme un manifeste sonore pour convaincre ceux qui pensent encore que la musique électronique se limite à des beats et des synthés, qu’ils se trompent. Ici, tout commence sur le billard d’un bloc chirurgical : scalpels, foreuses dentaires, ossements manipulés et lasers chirurgicaux deviennent instruments d’un orchestre improbable.
Leur idée ? Rendre hommage à leurs pères, tous deux médecins, en transformant des gestes cliniques en boucles musicales. À l’écoute, on oscille entre fascination et gêne, comme si chaque morceau ouvrait une fenêtre sur l’intime de nos corps, mais avec une ironie acérée. Prenez “California Rhinoplasty”, où les sons froids et mécaniques d’une rhinoplastie se transforment en une house étrangement festive, ou “Lipostudio…And So On”, où les bruits de liposuccions se mêlent à des rythmiques moites.
Ce quatrième album ne ressemble à aucun autre. Si “Quasi-Objects” et “The West” flirtaient avec les textures étranges et les rythmes bancals, “A Chance to Cut Is a Chance to Cure” pousse l’idée de l’expérimentation jusqu’à l’absurde, tout en restant étonnamment dansant. C’est une symphonie post-moderne pour un monde fasciné par la chirurgie esthétique, mais sans jamais sombrer dans le cynisme. “Faire danser les gens avec des sons qui devraient les déranger, c’était notre défi,” confie Drew Daniel.
Derrière ces expérimentations, il y a une histoire d’amour. Matmos, c’est avant tout Drew et Martin, amoureux depuis une décennie, inséparables dans la vie comme dans leurs délires sonores. Leur appartement de San Francisco, situé quelque part entre un studio d’enregistrement et un musée des curiosités, est l’épicentre de ces créations. Inspirés par Pierre Henry, Brian Eno, ou encore les délires sonores de Nurse With Wound, ils transforment chaque son capté – du plus banal au plus clinique – en matière première pour leurs morceaux.
La critique est conquise. On murmure même que Björk, grande prêtresse de l’avant-garde pop, est tombée sous leur charme. Elle leur aurait confié une partie des rythmes de son prochain album, “Vespertine”, les invitant à déployer leur folie sonore dans son univers. “Travailler avec Björk, c’est comme jouer avec un esprit, raconte Schmidt. Elle parle de sons comme s’ils étaient vivants : elle veut que des cymbales ressemblent à des plantes, que des rythmes soient transparents.”
Sur scène, Matmos promet des performances tout aussi improbables, entre vidéos médicales projetées en arrière-plan et beats chirurgicaux mixés en direct. Avec “A Chance to Cut Is a Chance to Cure“, le duo ne se contente pas de livrer un album. Il offre une expérience totale, dérangeante et euphorique, un miroir sonore tendu à une époque obsédée par la transformation du corps. Vous n’écouterez plus jamais les bips des machines médicales de la même manière.
Matmos “A Chance to Cut Is a Chance to Cure”, 1 CD (Matador Records), 2001.
California Rhinoplasty / Lipostudio… And So On / L.A.S.I.K. / Spondee / Ur Tchun Tan Tse Qi / For Felix (And All the Rats) / Memento Mori / Patient Hope in New Snow / Bonus Track for Japan (if applicable).