Brigitte Fontaine "Galerie d’art à Kékéland"

Brigitte Fontaine "Galerie d’art à Kékéland"

Quand Brigitte Fontaine décrit ses amis dans un livre, elle offre une nouvelle facette de sa personnalité. On la découvre poétique et douce, toute empreinte de sensibilité… et de loufoquerie bien sûr.

Le titre de ce livre pourrait induire en erreur : ce n’est pas un recueil de photos ni de dessins ou de peintures, mais une oeuvre d’auteur, avec des mots, ceux de la chanteuse Brigitte Fontaine. Celle qui s’est autoproclamée Reine de “Kékéland” sur son dernier album nous présente quelques uns des ses éminents sujets, les Kékés.

Le coeur de Kékéland, sa base amirale, c’est l’île Saint-Louis à Paris, où vit la grande Brigitte. “Galerie d’art à Kékéland”, n’est pas l’une de ces nombreuses galeries qui peuplent cette petite île très cossue et hypra chic. Ce sont des textes courts et poétiques écrit par la Reine Brigitte, qui décrit ceux qui peuplent sa “cour”. On y croise des sujets célèbres, des artistes même : Françoise Hardy ; Christophe ; Bashung ; -M- ; Jacques Higelin ; Etienne Daho ; Georges Moustaki (surnommé Le Barde) ; Bertrand Cantat de Noir Désir, Arthur H ou le compagnon de Brigitte, Areski Belkacem. Parmi les musiciens moins connus qui ont l’honneur de figurer dans cette galerie, notons aussi Laetitia Sadier de Stereolab, Jim O’Rourke, le concertiste Jean Efflam Bavouzet et le compositeur Jean-Philippe Rykiel. Kékéland peut s’enorgueillir d’avoir pour sujets des comédiens (Rufus, Jeanne Moreau), des dessinateurs (Sempé, Willem, Bilal ou Filipandré), l’animateur José Artur. Et puis d’illustres inconnus, qui visiblement, gagnent à ne plus l’être : un journaliste du “Monde”, la patronne d’un hôtel du Cap Fréhel), un chanteur défunt (Gainsbourg) et même une chatte (Slapette).

De manière générale, Brigitte Fontaine a le superlatif facile. Elle use aussi de la formule choc, faisant se téléscoper certains mots et adjectifs entre eux. Et elle invente à chacun mille vies, mille travers. Ali Belkacem, par exemple, a une marotte en voyage : “pour vous embêter et vous ravir, il vous met les doigts dans le nez et les oreilles, et lorsque vous avez peur d’aller quelque part, il vous dit, persuasif : ’T’en fais pas, je viens avec toi et je te mets les doigts dans le nez.’” On reconnaît bien là le style inimitable de Brigitte Fontaine, celui qui a fait la joie de tant d’animateurs de télévision depuis des années. Le plus drôle, dans la lecture de ce livre-galerie, c’est la façon dont, telle une chatte qui aurait ses humeurs, Brigitte Fontaine égratigne celui et caresse celui-là tour à tour. Elle peut être patte de velours ou griffer dans le même portrait… Et quand elle griffe, c’est pour de rire. Ainsi, Daho est “un petit paysan pop qui montre sa bite aux femmes du monde”, Higelin un “vieux bouc puant”. On ne sait jamais à quel degré lire Brigitte Fontaine.

Dans ce livre, on abandonne tout le rituel social qui consiste à dire clairement à chacun ce que l’on pense de lui : quand Fontaine dit du mal de quelqu’un, on imagine bien la personne “visée” se tordre de rire en lisant son portrait. Elle égratigne, mais c’est “pour de faux”, “ça compte pour du beurre.” Ecriture avec des mots adultes, mais jeu enfantin. Comme l’écrit Fontaine, la majeure partie des gens qui figurent dans la galerie sont extrêmement sympathiques : “Toutes ces personnes font oublier qu’il existe en masse des abrutis, des beaufs, des néonazis et des imbéciles. A Kékéland, tout le monde est un amour”.

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Brigitte Fontaine “Galerie d’art à Kékéland”, éeditions Flammarion, Paris, 107 pages, 16 euros.

première publication : samedi 1er février 2003

Jean-Marc Grosdemouge