Prohom "Prohom"

Avec des textes et des musiques sombres et une voix proche de celle du méconnu Zézé Mago, le lyonnais Philippe Prohom débite son pessimisme en chansons, avec des machines programmées pour produire des beats (on est dans de la chanson rock-électronique) et des textes programmés pour frapper là où ça fait mal, c’est à dire droit au ventre, ventre mou, de la société.
Sur du dub-rock, Prohom dénonce l’hypocrisie qui protège les pédophiles (“Mise en bouche”). Ailleurs, il tance une génération frappée d’immobilisme, ou qui rentre top vite et trop gentimment dans le rang, et délaisse les sentiments (“Ça oublie d’aimer”), et ceux dans l’échine desquels rien ne court (“Georges”). Parfois les textes sont un peu simplistes. “Pas d’idées” évoque a pour paroles : “Le riche suce le pauvre jusqu’à la moelle / Le pauvre lèche le riche qui donne que dalle / Le jeune qui tape sur le vieux” (etc.). C’est, rassurons tout le monde, le seul texte qui se laisse un tant soit peu à aller à la facilité. Un risque qui est inhérent, il est vrai, à toute critique en règle de l’asphyxie générale. Le mot asphyxie n’est pas utilisé au hasard : la pochette figure un vaporisateur de ventoline, que les asthmatiques utilisent pour calmer leurs crises.
Chez Prohom, il vaut mieux avoir sa ventoline sur soit pour déambuler dans ce monde où le bonheur est une “étrange sensation”, dans laquelle celui qui en fait l’expérience ne se reconnait pas (selon les propres paroles de “Heureux”). Si cette dernière chanson ouvre une perspective moins sombre (encore que la vision du bonheur selon Prohom soit toute relative), le propos musical et textuel de cet album pas gai mais énergique en diable, est rock. Et la rage qui se rattache généralement au rock est naturellement présente ici. La démarche musicale de Prohom est plus accessible à tout un chacun que celle de, par exemple, Programme. Contre le monde “stérilisé” (comme le ciel de “Rester en ville”), quoi de mieux que de cracher son venin ? Et de se finir, “accoudé au bar”, pour y recharger les batteries, refaire le monde ?
Refaire le monde… vaste entreprise. A défaut d’appeler à la révolution, Prohom essaie d’éveiller les consciences par trop endormies, et crée son monde musical. Le visiter permet, pour une fois, d’entendre des chansons dont les textes sont intelligents et explicites. Pas de poésie noirdésirienne ici. Ce n’est pas si fréquent.
***
Prohom “Prohom”, 1 CD (Polydor/Universal), 2003
dimanche 16 février 2003