Vinicius de Moraes "Vinicius"

Une double compilation consacrée à un parolier : voilà qui n’est pas chose courante. Il faut s’intéresser à des gens comme Johnny Mercer pour voir cela se produire, ce dernier ayant eu droit à un volume de la collection “Songbooks” du label Verve, intitulé “Blues in the night”.
Diplomate et poète, Vinicius de Moraes est le parolier historique de la bossa, qui, aux côtés de Tom Jobim et Joao Gilberto, a contribué à faconner le genre. Alors qu’on commémore le quatre-vngtième anniversaire de la naissance de Jobim, il n’était que temps de rendre hommage à ce Carioca né en 1913. C’est dire si ce jongleur de mots appartient à un autre âge… mais ces mots dansent toujours avec la même grâce. Si un disque nous présente ses nombreux interprètes masculins (Chico Buarque, Caetano Veloso) et féminins (Nara Leão, Elis Regina), c’est surtout celui où l’on entend le maître en personne qui fascine.
D’une voix légèrement voilée par la cigarette, avec un timbre à l’élégance froissée, il chante et déclame ses mots, le plus souvent en compagnie du guitariste Toquinho, avec qui sa collaboration reste légendaire. S’il n’a pas droit à une compilation de titres instrumentaux comme Johnny Mercer (reportez-vous au très bien nommé “Too marvelous for words”), Moraes voit au moins l’une des chansons dont il a écrit les paroles, “Apelo”, être interprétée sans mot dire par Baden Powell et Mauricio Einhorn. Preuve qu’au delà de la voix, Vinicius de Moraes a imprimé sa marque à la bossa nova. Car si cette musique peut paraître légère au profane, il s’agit en fait d’une samba triste, gorgée de saudade, ce mot portugais intraduisible littéralement, qui signifie une mélancolie pas forcément amère, un doux vague à l’âme dans lequel aime plonger parfois.
Car “faire une samba sans tristesse, c’est aimer une fille qui ne serait que belle”, nous dit Vinicius. Et qu’est-ce que la beauté d’un corps sans la pronfondeur de l’âme qu’il recèle ? La bossa, c’est la pudeur des sentiments, dissimulée sous une mélopée suave, un tempo nonchalant. Au delà du verbe, Vinicius a su donner un rythme propre à chaque titre auquel il a apporté sa touche. La touche d’un grand.
****
Vinicius de Moraes “Vinicius”, 2 CD (Universal Jazz), 2007
première publication : lundi 5 mars 2007