Paul Simon “Graceland”

En 1986, Paul Simon embarque pour un voyage musical inédit entre l’Amérique et l’Afrique du Sud, fusionnant folk et mbaqanga avec une audace rare. “Graceland” deviendra un classique instantané, aussi novateur que controversé, porté par des mélodies intemporelles et une production visionnaire.
Cette année-là, Paul Simon largue les amarres et traverse l’Atlantique, bien décidé à réinventer sa musique après l’échec commercial de “Hearts and Bones“. Direction l’Afrique du Sud, où il découvre les polyrythmies et les harmonies vocales du township jive. “Graceland” ne sera pas un album dans sa discographie, mais une fusion inédite entre la pop américaine et la musique sud-africaine, un voyage musical qui marquera les années 80.
Un pont entre deux mondes
La genèse de l’album commence par une cassette de musique mbaqanga (pop sud-africaine) que Simon écoute en boucle. Fasciné par l’énergie brute de ces rythmes, il prend contact avec les musiciens de Johannesburg et s’envole pour les studios Ovation. Sur place, il enregistre avec des artistes majeurs comme le groupe Ladysmith Black Mambazo, le guitariste Ray Phiri et le bassiste Bakithi Kumalo, dont la ligne de basse bondissante sur “You Can Call Me Al” deviendra légendaire. Loin d’être une simple récupération exotique, “Graceland” est un dialogue sincère entre l’Amérique et l’Afrique du Sud, entre la folk introspective et l’énergie de la rue.
L’album est une mosaïque de styles, où chaque titre explore une facette différente de cette fusion : “The Boy in the Bubble” mélange accordéon et batterie programmée, “Diamonds on the Soles of Her Shoes” s’ouvre sur une majestueuse introduction a cappella de Ladysmith Black Mambazo, et Homeless est une ballade hantée, où la voix de Simon se fond dans les chœurs zoulous. Chaque morceau semble animé d’une vie propre, avec des arrangements millimétrés qui laissent pourtant place à l’improvisation et à l’instinct.
Un album sous tension politique
Sorti en plein apartheid, “Graceland” déclenche une controverse. En brisant le boycott culturel contre l’Afrique du Sud, Paul Simon est accusé de bafouer les appels de l’ANC. Pourtant, il refuse toute récupération politique et insiste sur la dimension humaine du projet : donner une visibilité mondiale à des musiciens sud-africains sous le joug du régime ségrégationniste. Nelson Mandela lui-même finira par valider son initiative.
Aujourd’hui, “Graceland” reste une pierre angulaire de la world music et l’un des albums les plus influents des années 80. Son impact se mesure à la façon dont il a ouvert les portes de la pop occidentale aux musiques du monde, inspirant aussi bien Peter Gabriel (“So“) que David Byrne (“Rei Momo“). Il est aussi, tout simplement, un disque intemporel, où chaque écoute révèle de nouvelles subtilités.
★★★★★
Paul Simon “Graceland” (1986)
The Boy in the Bubble / Graceland / I Know What I Know / Gumboots / Diamonds on the Soles of Her Shoes / You Can Call Me Al / Under African Skies / Homeless / Crazy Love, Vol. II / That Was Your Mother / All Around the World or the Myth of Fingerprints