Céline Navarre à l’ombre d’une jeune fille en pleurs

Ancienne de la revue “Bordel” et native de la Haute Saône, Céline Navarre fait voyager son héroïne entre deux univers… diamétralement opposés. Et se joue aussi du temps.
Gustave Flaubert dit d’un auteur (et c’est valable pour une autrice) qu’il “doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part.” Ainsi Céline Navarre, dans l’ombre tire les ficelles de la vue d’une jeune femme, Lily et la fait passer d’un espace géographique, un terroir, un topos, à un autre.
D’un côté : les Vosges Saônoises, mini-Finlande aux mille étangs, qui n’est qu’une partie d’un département, le 70. On dit de ce versant sud des Vosges que c’est un “pays”; sans drapeau mais avec une chapelle à la silhouette mondialement connue, conçue par Le Corbusier. Il a ses gens taiseux, son patois rugueux et l’on y entend souvent le bruit des avions de chasse de la base aérienne de Luxeuil les Bains (où Navarre est née), qui strient le ciel et franchissent le mur du son en faisant “boom”. De l’autre, Saint Germain des Prés, qui n’est qu’une partie d’un arrondissement parisien (le 6e) mais ce quartier, c’est la République des lettres s’il vous plait. C’est là par exemple que les éditions Gallimard ont leur siège, dans l’ex rue Sébastien Bottin, rebaptisée en l’honneur du fondateur, Gaston.
La phrase “Emma Bovary c’est moi” est apocryphe (l’auteur des “Trois contes” et de “L’éducation sentimentale” n’a jamais écrit cela) et l’on se gardera bien de demander à Céline Navarre si Lily c’est elle. Elle qui manie espace et temps en nous faisant voyager de l’enfance haut saônoise de Lily, à son retour à la terre natale quelques années plus tard, en passant bien sûr par ses années parisiennes où elle se frotte au milieu si fermé de l’édition. Et es ombre rôdent… qui peuvent surgir à tout moment, comme le fait un groupe de grenouilles sous les roues d’une voiture, sur les routes du 70.
Auréolé du Prix Mac Orlan 2023, “L’Envers des ombres” est une belle découverte. Il paraît que dans sa cité thermale, patrie d’élection du moine irlandais Saint Colomban et lieu de naissance d’une graphie médiévale des moines copistes, la mérovingienne de type a (plus d’infos ici), Céline Navarre planche sur des mots. Dans un cahier ? sur un ordinataur ? A plume comme les copistes de l’abbaye de la cité. En tout cas son second roman est sur les rails : le décor sera ferroviaire. Il y a encore quelques gares SNCF dans le 70. A moins que d’autres ombres viennent la taquiner.
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Céline Navarre “L’Envers des ombres”, éditions Gallimard, Paris, 2023.
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