“Connemara” boit la tasse
Adapté de Nicolas Mathieu, le film d’Alex Lutz promettait un retour aux Vosges, une radiographie sensible de la province. À l’écran, Mélanie Thierry tient le cap, mais l’univers autour d’elle flotte : seconds rôles hors-sol, sociologie approximative. Au point que, fait rarissime, au bout de vingt minutes, j’ai eu envie de me lever.
Il y a quelque chose d’étrange, presque d’inquiétant, à ressentir l’envie de quitter une salle si tôt. Vingt minutes montre en main. Jamais arrivé. Pas même devant les pensums les plus laborieux des années 2000. “Connemara“, pourtant, avait tout pour tenir debout : un roman solide (Nicolas Mathieu), un réalisateur qui connaît les nuances (Alex Lutz), une actrice qui peut tout jouer (Mélanie Thierry, déchirée comme rarement), impeccable en Vosgienne partie “réussir” à Paris avant de revenir, essoufflée, dans son département d’origine.
Le problème ne vient pas d’elle, ni même du décor. Les Vosges sont là, filmées avec une mélancolie presque documentaire : les ronds-points, les lotissements, les terrains de hockey, les parkings qui font office de salles des fêtes modernes. Non, ce qui déraille -et très vite, c’est l’entourage masculin, censé incarner la bande de potes du coin. Ces types-là, dans le roman, sentent la bière tiède, les frustrations, les espoirs englués. Ici, on jurerait qu’ils sortent d’un bar à vin de la rue Oberkampf ou d’un dîner du 7ᵉ. Tout est trop lisse, trop policé, trop “parisien”. Qui a validé ce casting ? Qui s’est dit que des personnages supposés représenter le cœur laborieux des Vosges pouvaient avoir l’allure, les tics de langage, la nonchalance étudiée de jeunes cadres du XIᵉ arrondissement ? Il y a là une faute de goût, mais surtout une faute de classe : une méconnaissance profonde de ce que raconte le roman, et de ce que ce film prétend mettre en scène. On se retrouve face à une France périphérique jouée comme une extension du métro Charonne.
Le plus saisissant, c’est l’incohérence interne : si le retour de Hélène (Thierry) fonctionne, c’est parce qu’elle joue cette femme déplacée, étrangère à nouveau chez elle. Mais quand ceux qui l’entourent donnent, eux aussi, l’impression de ne jamais avoir vécu à plus de deux stations de la ligne 9, tout s’effondre. On ne croit plus le décor, on ne croit plus les rapports sociaux, et la mécanique dramatique se grippe. Reste une mise en scène appliquée, quelques beaux éclats de mélancolie, la fragilité lumineuse de Thierry. Mais cela ne suffit pas à masquer ce qui plombe le film : une incapacité à peupler les Vosges avec des personnages qui ressemblent à des Vosgiens. Le roman de Mathieu disséquait les existences de l’intérieur. Le film, lui, semble les reconstituer depuis Paris. Et ça se voit.
On ne demande pas au cinéma d’être réaliste à la lettre, mais d’être crédible. “Connemara” l’est à moitié, et c’est la moitié manquante qui fait vaciller tout le reste. Une adaptation qui touchait à quelque chose, puis l’a laissé filer. Comme moi, au bout de vingt minutes, prêt à me lever pour de bon.
★★☆☆☆
