Jacques Dutronc "Madame l’existence"

Dieu sait qu’on aime Jacques Dutronc, dandy moderne, acteur et chanteur, qui a érigé la nonchalance en art de vivre. On aime tout chez lui : même sa femme, Françoise Hardy, l’une des plus belles voix de la chanson française, et son fils Thomas, guitariste qui accompagne Birelli Lagrène sur scène. Mais va-t-on aimer cet album ?
On respecte cette façon qu’a Dutronc de ne donner de ses nouvelles sur disque que très rarement… Depuis “Brèves rencontres” en 1995 (qui faisait suite à son live au Casino de Paris d’il y a pile dix ans), à part quelques collaborations (“Puisque vous partez en voyage”), pas de nouvelles de l’homme aux célèbres lunettes noires, un barreau de chaise cubain toujours vissé aux lèvres. Le voici donc, ce nouvel opus, dont le boitier cristal est fumé, comme les verres de ses lunettes. Aux jeux de mots de Gainsbarre, Dutronc a substitué ceux de Jacques Lanzmann, son parolier des débuts. Et ceux de David Mc Neil, parfois navrant. Un exemple pour vous donner une idée du niveau des textes de Mc Neil : “J’fais du transat en solitaire”. No comment.
Dutronc donne dans la chanson faussement électro-moderne (pas ce qu’il y a de plus réussi), reprend avec maestria Mouloudji (“Un jour tu verras”) et Eddy Constantine (“L’homme et l’enfant”, superbe), ou fait son Henri Salvador sur des orchestrations de cordes (“Voulez-vous”) signées François Rauber. Au cinéma, on aime Dutronc parce qu’il n’en fait pas trop. S’il doit interpréter Van Gogh, qu’il se fasse décolorer les cheveux, et il devient le peintre hollandais. Sur l’écran, il est formidable car il ne fait que passer. Le problème, c’est que sur ce disque aussi, il semble que Dutronc ne fait que passer. Sa voix nonchalante n’hébite pas ces jolies chansons.
Doit-on craindre désormais d’aimer plus le personnage qu’est Dutronc que ses chansons ? Revenons en un mot sur la collaboration de Dutronc avec François Rauber, qui a travaillé autrefois avec Brel. A la fin de sa vie, Brel vivait aux Marquises. Atteint par le cancer, il livra un dernier album, rempli d’urgence, où il s’en prenait aux Flamingants. Cette urgence, Dutronc ne l’a pas. “Madame l’existence” n’est pas son dernier disque, et il le sait. La Corse, ce n’est pas aussi loin que la Polynésie, mais que Dutronc n’interrompe pas sa longue sieste si ce n’est pas pour livrer un album à la hauteur.
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Jacques Dutronc “Madame l’existence”, 1 CD (Columbia/Sony Music), 2003
lundi 2 juin 2003