Eiffel “Le 1/4 d’heure des ahuris”

Eiffel “Le 1/4 d’heure des ahuris”

Ce n’est pas tant parce qu’il est parisien que ce quatuor s’est baptisé Eiffel, mais en hommage aux Pixies. Et cette filiation, inventée pour conjurer l’échec de leur premier groupe (Oobik & The Pucks) n’est pas usurpée. Noir, tendu, tourmenté, le rock d’Eiffel, se permet de faire parler les guitares fort, très fort, pour en faire le lit d’un chant qu’on a rarement vu aussi violent, si ce n’est chez Bertrand Cantat.

Impression stupéfiante sur scène, il y a peu à la Cigale : même pose, même boucle d’oreille, même regard sombre que chez le leader de Noir Désir. Les murs de spots blancs derrière le groupe accentue encore cette impresssion, puisque c’est ce genre de lumière qu’avait choisie le groupe bordelais pour la tournée qui suivit “Tostaky”. Henri-Jean Debon a tiré le “Double live” de cette tournée, en mélangeant des titres enregistrés à la Halle Tony-Garnier de Lyon, et d’autres… à la Cigale.

Romain Humeau, également en charge de la guitare (comme sa compagne Estelle) et du piano, rappelle le chanteur de Noir Désir non seulement physiquement, mais surtout par sa grande capacité à manier le verbe sur le papier (des textes rudes où la poésie en demie-teinte affleure souvent), et à le rendre incandescent en chansons. Il a parfois des inflexions rageuses, on entend parfois de la rocaille dans son timbre (notamment sur “Tu vois loin”, une chanson dont on ne peut oublier la mélodie après deux écoutes successives) mais il use le plus souvent une manière très personnelle de poser son chant avec ce qu’il faut de détachement. Ou chante à gorge déployée, et monte dans les aigus (“Ne respire pas”). S’il peut varier dans son chant pour interpréter au mieux chaque titre, c’est que ces chansons, Romain Hureau les connait : il les écrit, les compose, et a réalisé cet album, qui fait suite à “Abricotine”. En tout cas, on a peine à croire que ce groupe a participé aux sessions de l’album de Michel Houellebecq, tant sa musique abrasive et revêche est à mille lieues du son Tricatel.

A l’heure où la relève de Noir Désir se pose de manière cruciale, le prétendant le plus sérieux n’est pas le plus connu. Malgré l’émergence d’une nouvelle génération de groupes de rock à la française (Mickey 3D, Dinoysos), Eiffel est un nom qui n’est pas sur toutes les lèvres dans la rue. Cela ne durera pas.

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Eiffel “Le 1/4 d’heure des ahuris”
1 CD (Labels/EMI), 2003

Il pleut des cordes / Au néant / Sombre / Les yeux fermés / T’as tout, tu profites de rien / Off / En déviances / Dim Sum-le plus grand nombre-l’aurore / Sanguine / Dans le vague / Tu vois loin / Ne respire pas 

dimanche 24 août 2003

Jean-Marc Grosdemouge