Arve Henriksen “Chiaroscuro”

Il est des albums confondants de beauté. Il est des disques captivants parmi la masse de ceux qui s’offrent habituellement à nous.
Certains opus se dégagent très vite du tout venant : dès les premières minutes, ils capturent littéralement notre attention, ne la lâchent plus une seconde, la transportent ailleurs, avant de nous la rendre, rechargée, une fois toutes les plages de musique lues. On leur confie notre fatigue à ces disques, ils la réduisent en miettes. On leur donne nos tracas pour s’en débarasser, et ils nous en débarassent bien volontiers en deux temps-trois mouvements.
Enfantin comme le “Everyone alive wants answers” de la Française Colleen, mais encore plus soyeux, ce “clair obscur” norvégien envoûte. Dans un écrin soyeux d’électronique méditative et de programmations rêveuses, Arve Henriksen use de deux instruments : sa trompette, qui se fond souvent dans les paysages cotoneux, et sa voix, qui souligne les ambiances éthérées. Proche de la rupture, ce filet de voix est quasi-enfantin, voire céleste. Ou assexué. Pas étonnant, puisque les anges n’ont pas de sexe. Cette voix murmure un espéranto qui rappelle l’hopelandic, langue scandinavo-cabalistique créée de toutes pièces par le groupe islandais Sigur Ros.
La rythmique est sourde, voire inexistante. Le beat n’est pas marqué, car on doit se laisser aller, et oublier toute référence à la musique telle qu’elle se pratique ailleurs quand on entre dans ce disque, qui devient essentiel en quelques heures tant son pouvoir lysergique agit tel une drogue avant même qu’on ait le temps de dire ouf. On ne range donc pas de si tôt le disque, qui tourne et tourne encore, emportant nos pensées négatives en enfer, tel le syphon d’un évier évacuant une eau salie. Au fond, cet album est beaucoup plus clair qu’obscur.
Et tout en l’écoutant (au casque si possible, car cela permet de mieux goûter les mille cristaux sonores contenus dans son onctueuse pâte sonore), on laisse dériver ses pensées les meilleures, celles d’avant la naissance. On savoure le bien être qui nous gagne, et infuse lentement en nous. On a enfin trouvé un disque pour recréer les sensations du foetus que nous étions dans le ventre de notre mère.
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Arve Henriksen “Chiaroscuro”, 1 CD (Rune Grammofon/ECM), 2004
Opening image / Bird’s-eye-view / Chiaro / Holography / Blue silk / Parallel action / Circled take / Scuro / Time lapse / Ending image
vendredi 17 décembre 2004