Abd Al Malik, porteur d’espoir

Après avoir trusté les récompenses avec “Gibraltar” (Prix Constantin, Victoires de la Musique, et même la médaille de chevalier des Arts et Lettres), Abd Al Malik est de retour avec “Dante”. L’occasion pour nous d’aller interviewer ce rappeur qu’on a tout de suite adopté et qu’on a souvent vu sur les plateaux de télé ou à la radio, mais jamais devant notre propre micro.
Comme on est jamais si bien servi que par soi-même, c’est chez Universal qu’on le rencontre, à deux pas du Panthéon, alors que se déroulent, quelques rues plus bas, des manifestations d’étudiants et d’enseignants-chercheurs. Si le climat social est chaud, Malik, lui, est toujours aussi zen, et posé.
La dernière fois qu’on s’est croisés, c’était à Art Rock, à Saint Brieuc. Tu venais de remporter le Prix Constantin. Depuis, tu as été fait chevalier des Arts et Lettres. Alors, je dois t’appeler chevalier Malik ou chevalier Fayette-Mikano, puisque c’est ton vrai nom ?
(rire) Abd Al Malik, ça ira.
Tu l’as vécu comment le fait d’être honoré par la France ?
Évidemment, ça fait plaisir à titre personnel. Mais là où ça m’a touché, c’est par rapport à ce que je représente, à tous les jeunes des quartiers, par rapport à ma musique. Je suis dans le hip hop et ma démarche c’est de donner de l’espoir, du courage, aux gamins qui écrivent dans les cités et qui peuvent se dire “voilà un mec qui vient du même milieu que nous et qui peut faire ça, nous aussi on peut le faire”. J’attache énormément d’importance aux symboles parce que c’est comme ça qu’on construit notre imaginaire, qu’on se structure. L’aspect symbolique de cette reconnaissance, pour moi c’est hyper important.
Quand tu a reçu cette distinction, tu as fait un discours en disant “j’aime mon pays”. Et quelques semaines plus tard, un article dont tu as du avoir vent, “Rap domestiqué, rap révolté, est sorti dans “Le Monde Diplomatique” (lire). Il épinglait ce discours que tu avais tenu et te classait sous la bannière des “faux révoltés”. Sur l’album “Dante”, il y a un titre, “C’est du lourd”, qui reprend cette idée. C’est une chanson que tu avais en toi depuis longtemps ou c’était en réaction à l’article ?
Non, pas du tout, puisque j’ai eu vent de cette mini polémique – qui m’amuse encore aujourd’hui – après. Je n’avais pas lu cet article, on m’en a parlé mais je ne l’ai pas lu jusqu’à ce jour… Comment dire ? Moi je viens de la rue… Tous ces gens, ils s’épanouissent bien dans la vie, ils ont un travail, leurs enfants vont bien, ils vont dans des écoles, tout est bien. Moi je viens d’un endroit où les gens sont éternellement en désespérance au point que certains tombent dans la came, d’autres sont morts ; d’autres sont surdiplomés et font de la manutention parce qu’ils ont telle couleur de peau, tel nom à telle consonance. Ce que disent les gens du “Monde Diplomatique” ne me touche pas parce qu’on ne vit pas dans le même monde. Je ne suis pas un moralisateur, je suis un donneur d’espoir… Mon idée, c’est qu’on doit s’approprier notre chez nous. On est vraiment chez nous en France, c’est notre pays. Et à partir de là, on doit être capable de faire en sorte que les idéaux de liberté, de fraternité deviennent concrets, de les rendre effectifs. Pour ça, on doit être capable de créer de l’imaginaire. Et l’art y participe. Il faut créer un climat pour que l’on arrête de stéréotyper les gens qui viennent de quartiers. C’est qui les faux rebelles et les faux militants, entre eux et moi ? Moi je parle de choses que je connais, eux, ils théorisent. Je respecte, parce que tout le monde à le droit de penser, mais je ne peux pas en tenir compte. Je vais plus tenir compte de ce que me disent les gamins d’une cité qui ont écouté le disque et me disent “ça me donne du courage, ça me donne envie de battre et de pas rester dans ce truc ghetto”. Ça, ça a du sens pour moi. Ce que je dis, ce n’est pas un discours, c’est un état d’être. C’est différent. Ce que j’ai pu te dire quand on s’est croisés par le passé, c’était pas un discours, c’est un état d’être. Le titre “C’est du lourd”, ce n’est pas un discours, c’est un état d’être. C’est à dire que je ne suis pas là pour dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, surtout les journalistes, puisqu’ils parlent de bien pensants. Ce sont eux les bien pensants ! Pour eux, quand tu viens d’un quartier, tu dois être comme ça…
Révolté ?
C’est quoi cette révolte ? Ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’être révolté ou pas, c’est d’être ce que je suis, et de construire…
Ce que tu veux dire, c’est que tu serais beaucoup plus faux si tu faisais des disques ouvertement révoltés, alors que ce n’est pas ta manière d’être ?
Être révolté, c’est la nouvelle variété. Certes, j’ai vendu beaucoup de disques, mais que ces journalistes me comparent à ces artistes qu’ils doivent considérer comme révoltés et qui sont dans une démarche qui, pour moi, s’apparente à de la variété… Le gangsta rap, mettre des filles à demi-nues, le bling bling, c’est quoi ? Ça nous dit quelque chose sur les dérives de la société : tu es parce que tu as. Mais ça ne m’intéresse pas. Si pour eux, c’est ça être révolté, ce n’est pas comme ça que ma mère m’a éduqué… ce ne sont pas mes valeurs. Quand j’étais comme ça dans la cité, je n’étais pas dans le bon chemin.
Pour rester dans cette idée d’être porteur d’espoir ou de révolte, je ne sais pas si tu as entendu parler de ce concours de lyrics organisé par la Halde et Skyrock. J’ai, là, le texte du gagnant qui est collégien à Paris et s’appelle Fouad Ahamada (lire ici). Je voulais te le faire lire et que tu puisses réagir…
(Abd Al Malik prend le temps de lire attentivement) C’est bien. J’aime bien.
Pour toi, ça va dans le bon sens de sortir le rap de cette image rap = révolte ?
Je pense qu’il faut de tout. Il faut arrêter de dire : le rap c’est ça. Chacun son vécu. Pour certains, c’est le gangsta rap, ils en parlent, très bien. D’autres parlent du rapport à la discrimination, très bien aussi. C’est ça qui est important. Mais les gens qui écrivent des articles pour dire “le rap, ça devrait être ça”, je ne sais pas quelle est leur crédibilité hip hop.