Faudra-t-il un jour s’endetter pour voir des popstars sur scène ?

Critiquant le système économique qui conduit à une inexorable montée des prix, mais aussi l’attitude des fans, qui sont complices, le journaliste Jean-Christophe Servant pose la question dans le mensuel “Le Monde Diplomatique” d’octobre 2024 (“Si chers concerts”).
La prochaine tournée d’Oasis a vu ses prix s’envoler à cause de la tarification dynamique mais c’est l’arbre qui cache la forêt : la hausse du prix des tickets s’explique par la concentration du secteur de l’organisation de concerts et la revente systématique des billets sur Internet. Ces pratiques font de chaque spectacle un luxe, alimentant une spirale inflationniste. Cependant, comme le souligne Servant, cette situation persiste aussi “parce que les fans le veulent bien” : ils acceptent, souvent sans broncher, de payer des sommes faramineuses pour voir leurs idoles, contribuant ainsi eux-mêmes à cette augmentation incontrôlable. Néanmoins des artistes (Indochine en France, The Cure au Royaume-Uni) se déclarent opposés à la tarification dynamique.
L’article nous apprend que Ticketmaster, la filiale de Live Nation qui vend les tickets pour la reformation des frères Gallagher, est sous le feu d’une enquête antitrust du ministère américain de la Justice, pour monopole illégal sur le marché des concerts aux États-Unis, impactant fans, artistes, et promoteurs. Contrôlant plus de 80 % de la billetterie, Live Nation pourrait se voir fragmenté, avec des répercussions en Europe et notamment en France, où la structure des festivals musicaux repose largement sur des modèles associatifs et subventionnés.
L’an dernier, Live Nation a produit 50 000 événements et attire des investisseurs, même éloignés des valeurs culturelles, comme BlackRock et le fonds souverain saoudien. En France, sa filiale gère des festivals tels que Main Square et le Lollapalooza, et influence les programmations locales en imposant ses artistes, malgré une concurrence avec AEG, un autre géant américain. Face à cette concentration, les festivals indépendants luttent : la hausse des cachets et des coûts d’exploitation met en difficulté des événements de taille moyenne, fragilisés par des subventions en baisse.
La tendance est à la prédominance des gros festivals et de plus en plus de chanteurs et chanteuses se produisent dans des stades gigantesques, au détriment des salles intimistes. Cette dynamique accentue une “monoculture pop” favorisant les grandes productions et réduisant la place pour les artistes émergents, qui dépendent pourtant des scènes pour se faire connaître.
L’article revient également sur la domination croissante en France de groupes financiers comme ceux de Matthieu Pigasse (Combat : Nova, Les Inrocks, Rock En Seine) et de Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac), deux figures emblématiques qui ont massivement investi dans l’industrie musicale et pris le contrôle de plusieurs festivals et événements culturels. Cette emprise a non seulement des répercussions directes sur le prix des concerts, mais aussi sur la programmation des festivals, où la rentabilité prime souvent sur la diversité artistique. Des événements comme les Eurockéennes de Belfort, par exemple, en ressentent les effets, avec une programmation qui se recentre de plus en plus sur des artistes susceptibles d’attirer un public de masse, souvent au détriment des découvertes musicales.
Voir aussi :
- “La musique dans le viseur des groupes industriels”, article de Emmanuel Négrier (Université de Montpellier, cité dans l’article de Servant),
- et bien sûr “Si chers concerts”, l’article de Jean-Christophe Servant en intégralité sur le site du “Monde Diplomatique”.
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première publication : 26 octobre 2024
mise à jour : mardi 19 novembre 2024 avec ajout d’un lien vers l’article “À l’ère des mégaconcerts, les stars battent la démesure” de “Courrier International”.