Houellebecq : diable ou anthropologue génial ?

Houellebecq : diable ou anthropologue génial ?

“Courrier international”, sous la plume de Florian Mattern, s’est intéressé aux réactions de la presse anglo-saxonne lors de la sortie de “Anéantir”, le dernier roman de Michel Houellebecq. Sorti avec un décalage de près de deux ans au Royaume-Uni et aux États-Unis sous le titre “Annihilation”, ce roman suscite un tourbillon de critiques et d’analyses, divisant autant qu’il intrigue. Entre fascination et rejet, les journalistes anglo-saxons peinent à classer cet écrivain inclassable : diable provocateur ou excellent explorateur de l’âme humaine ?

Dans “The New Statesman”, Rob Doyle ne mâche pas ses mots et qualifie l’écrivain de “propagandiste” plus que de romancier, considérant que Houellebecq se sert de la fiction pour imposer sa vision cynique et désabusée du monde. “Anéantir”, avec ses 736 pages, est qualifié par Doyle de “trop long, peu inspiré et intellectuellement fruste”, déviant de son suspense politique initial pour se concentrer sur la lente renaissance de l’amour entre Paul Raison, haut fonctionnaire désabusé, et sa femme. Pour Rob Doyle, cette évolution fait perdre au récit sa puissance et laisse place à une analyse maladroite et pessimiste de l’amour et des relations humaines.

De l’autre côté de l’Atlantique, “The New York Times” adopte une position plus nuancée à travers Wyatt Mason, qui, tout en reconnaissant la provocante réputation de Houellebecq, le considère comme un “anthropologue culturel consciencieux”. Mason souligne sa capacité rare à dresser un portrait incisif des désirs les plus sombres et des contradictions profondes de notre époque. S’il note que les avis sur “Anéantir” sont “mitigés”, il estime que cette œuvre reste une des tentatives les plus audacieuses de l’auteur pour sonder l’humain au-delà du nihilisme apparent qui lui est souvent reproché.

Darran Anderson, chroniqueur pour “UnHerd”, va plus loin en qualifiant Houellebecq de “diable littéraire” contemporain, car, à l’image d’auteurs sulfureux comme le marquis de Sade, il explore sans filtre la décadence et l’immoralité. Pour Anderson, Houellebecq fascine parce qu’il incarne une figure radicalement éloignée des normes anglo-saxonnes, où les écrivains, même subversifs, restent en prise avec des limites implicites. En France, Houellebecq apparaît comme l’une des dernières voix littéraires capables d’exposer de façon crue les “vérités dérangeantes” et les tabous de la société.

Mais si Houellebecq séduit certains critiques britanniques, comme le décrit Michael Gove du “Times” qui le qualifie néanmoins de “voyou de la littérature”, d’autres réagissent vivement à ses positions personnelles et au personnage ambigu qu’il cultive. Magdalena Miecznicka du “Financial Times”, qui a rencontré l’auteur, avoue être troublée par sa réputation misogyne. Elle déclare que, “en tant que femme”, il lui est difficile de se confronter à Houellebecq, dont la vision des femmes semble, selon elle, réduite à une “date de péremption” dépassée dès 25 ans. Au-delà de la fiction, l’écrivain n’hésite pas à partager ses opinions controversées, de son soutien à Donald Trump à son amitié avec Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, autant de sujets qui suscitent le malaise chez ses interlocuteurs.

On le voit : comme pour la presse française, Michel Houellebecq reste un mystère pour la presse anglo-saxonne en général. C’est une figure à la fois choquante et fascinante. Certains voient en lui un miroir des pulsions collectives, d’autres un simple provocateur sans compassion. Ce qui est sûr, c’est qu’en explorant la société moderne sans détours, il est, pour le meilleur ou pour le pire, devenu une des figures incontournables de la littérature contemporaine, exerçant une influence singulière que ni ses détracteurs ni ses admirateurs ne peuvent ignorer.

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Jean-Marc Grosdemouge