Capitaine Conan n’est pas (seulement) un film sur 14-18
Conan n’est pas un soldat comme les autres. Sa gouaille, sa brutalité et son sens personnel de la justice font de lui un guerrier, capable de frapper “vite, fort et tout le temps”, et de se jouer des règles militaires. Tavernier signe un film sur l’ivresse de la guerre, ses excès et ses zones d’ombre morales.
Conan (Philippe Torreton, époque Comédie Française) est un civil breton, jeté au cœur du conflit et de ses ruines, sur le front bulgare. Sa particularité ? Meneur d’un corps franc de “nettoyeurs de tranchées”, il ne joue pas selon les règles que l’armée impose. Il est capable de violence mais aussi de réparties cinglantes, de gestes impétueux et d’humour noir. Ce n’est pas un soldat discipliné : quand un ordre ne lui convient pas, il ne désobéit pas ouvertement. Il s’arrange pour que le messager retourne voir les supérieurs, sous-entendant qu’il n’a pas trouvé l’instruction, se protégeant ainsi des représailles. Respecter l’autorité n’est pas sa loi ; sa loyauté, c’est la guerre elle-même et son propre code de survie.
Le film ne s’attache pas à la chronologie des événements de 14-18. Les batailles sont là, la boue, le sang et la peur, mais ce qui fascine Tavernier, c’est la psychologie du guerrier : ce mélange de courage, de brutalité et d’autonomie. Conan frappe vite, fort et sans hésitation, et ce don n’est jamais glorifié : il est montré dans toute sa puissance et ses contradictions. Le spectateur comprend qu’un soldat obéissant et un guerrier insoumis ne vivent pas la même guerre.
Les interactions de Conan avec ses pairs accentuent ce contraste. Là où les autres respectent scrupuleusement la hiérarchie et les codes, lui improvise, manipule et contourne les règles. Il aime provoquer, tester les limites, mais toujours avec une logique interne cohérente. C’est cette autonomie, cette liberté dans l’action, qui fait basculer le film au‑delà d’une fresque historique : Capitaine Conan devient l’étude d’un individu façonné par la guerre, capable de respect et de cruauté, mais jamais entièrement domestiqué.
Tavernier montre aussi le retour à la “paix” comme une autre épreuve : Conan conserve ses réflexes, ses excès, et se heurte à un monde où la hiérarchie et la justice ont remplacé le champ de bataille. Le personnage devient alors un révélateur des tensions entre l’institution et l’instinct, entre devoir et survie.
Le film ne se limite donc pas à 14-18. Les uniformes et les tranchées sont des décors pour explorer ce qui fait d’un homme un guerrier et non un simple soldat, un individu capable de courage et d’irrévérence, de loyauté et de défi, au rythme de la guerre, de l’alcool, des coups et des mots. Conan frappe selon ses propres mots “vite, fort et tout le temps” -mais il frappe selon ses propres règles, et c’est là que réside le vrai sujet de Tavernier.
