Sigur Rós “Ágætis Byrjun”

Sigur Rós “Ágætis Byrjun”

Écouter “Ágætis Byrjun”, c’est faire un pas de côté, quitter un instant notre monde trop bruyant pour se perdre dans une aurore boréale. C’est un album à écouter seul, un casque sur les oreilles, en fermant les yeux, et en laissant la magie opérer.

Même si Björk rayonne à l’international, l’Islande est encore une énigme musicale pour le grand public. Peu de groupes ont réussi à percer hors de ses terres glacées, et quand ils le font, c’est souvent en empruntant les codes anglo-saxons. Sigur Rós, lui, choisit une autre voie : celle de l’étrange, du mystique, du sublime. Avec “Ágætis Byrjun”, il ouvre une brèche vers un monde parallèle, où les guitares jouées à l’archet crissent, où les cordes vibrent comme des aurores boréales, où la voix de Jónsi traverse les brumes comme un chant venu d’ailleurs.

C’est un album qui n’existe pas dans le temps. Ni ancré dans les 90s, ni tributaire des tendances, il semble échappé d’un rêve, un disque qui s’écoute comme on contemple un paysage glacé au petit matin. Même si “Ágætis Byrjun” signifie “Bon début”, le group est déjà auteur de “Von” (1997), album dans lequel perçaient déjà quelques fulgurances, le groupe trouve ici son son, son langage, son mystère. Tout s’aligne, “nouveau départ” (c’est l’autre signification du titre). La voix de Jónsi Birgisson, androgyne, éthérée, quasi irréelle, devient leur marque de fabrique. Il ne chante pas en islandais mais en “vonlenska”, une langue inventée, purement phonétique, où le sens laisse place à l’émotion brute.

L’album est enregistré dans une église reconvertie en studio, et cette acoustique sacrée transparaît dans chaque note. Les guitares ne sont pas jouées mais caressées à l’archet, les nappes de claviers s’étirent comme des traînées de vapeur, et les basses résonnent comme des grondements lointains sous la glace.

Une traversée sensorielle

Dès “Svefn-g-englar”, on comprend qu’on entre dans un autre espace-temps. Le morceau avance lentement, comme un navire fantôme dérivant sur une mer de brume. La voix de Jónsi s’élève, spectrale, bouleversante, tandis que les guitares strient l’air comme des éclairs silencieux. C’est un baptême, une immersion dans un monde où les émotions prennent le pas sur les mots. Puis vient “Starálfur”, où les cordes prennent leur envol, douces, mélancoliques, lumineuses comme un matin d’hiver. Un morceau à la fois fragile et immense, qui semble contenir tout le chagrin et toute la beauté du monde.

“Ny Batterí” est plus sombre, sa batterie martèle comme un cœur en perdition, ses guitares grondent comme une tempête en approche. C’est un Sigur Rós plus terrien, plus tourmenté, où l’Islande elle-même semble parler. Et puis il y a “Viðrar vel til loftárása”, où le groupe touche au sacré. Une ascension lente, poignante, où chaque note semble suspendue entre la douleur et l’extase. Un morceau qui brise les digues, où l’auditeur se sent emporté, perdu dans un halo de lumière.

Sigur Rós Ágætis Byrjun”, 1 CD (FatCat/PIAS), 1999

Intro / Svefn-g-englar / Starálfur / Flugufrelsarinn / Ný batterí / Hjartað hamast (bamm bamm bamm) / Viðrar vel til loftárása / Olsen Olsen / Ágætis byrjun / Avalon

Jean-Marc Grosdemouge