Lou Reed & John Cale “Songs for Drella”

Si Lou Reed et John Cale, deux anciens du Velvet Underground, décident de se retrouver, c’est pour rendre hommage à leur mentor, patron de la Factory : Andy Warhol. “Songs for Drella” est une élégie, un adieu sans concession à celui qui les a façonnés, aimés et trahis.
Pas de basse, pas de batterie. Juste une guitare nerveuse, un piano habité, et deux voix qui murmurent, accusent et regrettent. Lou Reed, toujours mordant, raconte l’ambition, l’obsession et la solitude de Warhol (“Work”, “I Believe”), tandis que Cale l’enveloppe de mélodies élégiaques (“Style”, “Forever Changed”). Sans fausse nostalgie, “Songs for Drella” est un dernier dialogue avec le fantôme d’Andy. Un disque sobre et magistral, où l’admiration se mêle aux reproches, comme dans toute grande histoire d’amour et de trahison.
Des reproches ? Parfaitement, disséminés tout au long de l’album, entre les lignes de l’admiration et du deuil. Reed et Cale ne mythifient pas Warhol, ils le montrent tel qu’ils l’ont connu : un génie distant, un manipulateur froid, un visionnaire égoïste, mais aussi un homme vulnérable et incompris. Dans “A Dream”, Reed donne littéralement la parole à Warhol, sous forme d’un monologue imaginaire où il semble reprocher aux membres du Velvet de l’avoir abandonné. C’est peut-être le passage le plus poignant de l’album, un faux dialogue où chacun reste dans sa solitude.
Dans “Work”, Reed reconnaît la discipline imposée par Warhol, son éthique du travail acharné, mais il laisse entendre que cette exigence était aussi une forme d’exploitation. Dans “Smalltown” (comprendre : Pittsburgh), ils dressent un portrait caustique du jeune Andy, un garçon mal aimé, trop bizarre pour son entourage. On sent à la fois de l’empathie et une forme de condescendance. Dans “Images”, Cale met en doute la sincérité de Warhol, suggérant qu’il cachait sa véritable nature derrière son masque d’artiste distant.
Dans “I Believe”, Reed va plus loin : il accuse directement Warhol de n’avoir rien fait pour protéger ses amis. Il raconte l’agression dont Warhol a été victime en 1968 (Valerie Solanas lui a tiré dessus) et conclut brutalement : “I believe / being sick is no excuse / I believe / I would’ve pulled the switch on her myself“. Autrement dit, Reed n’aurait pas hésité à condamner Solanas à mort, là où Warhol, plus détaché, n’a pas réagi avec rancune.
★★★☆☆
Lou Reed & John Cale “Songs for Drella”, 1 CD, 1990
Smalltown / Open House / Style / Work / Trouble with Classicists / Starlight / Faces and Names / Images / Slip Away (A Warning) / It Wasn’t Me / I Believe / Nobody But You / A Dream / Forever Changed / Hello