Gregor Samsa “55 :12”

Gregor Samsa “55 :12”

Gregor Samsa explore les paradoxes d’une musique à la fois austère et intensément émotive. Entre montées en tension dignes de Mogwai et harmonies vocales rappelant Low, le groupe kafkaïen tisse un univers où la noirceur anthracite devient lumineuse. Loin des clichés, ces compositions, fragiles et puissantes à la fois, offrent un voyage introspectif, porté par une sensibilité à fleur de peau.

Si l’expression n’avait pas déjà utilisée par Jean-Jacques Goldman qui en fit le titre d’un de ses albums à la fin des années 80, on pourrait dire de la musique de Gregor Samsa, qu’elle évolue “entre gris clair et gris foncé”. Délaissant les couleurs pastels, les camaïeus de rose, les imprimés à fleurs, ce groupe au pseudo kafkaïen (Gregor Samsa est un personnage de “La métamorphose”) fait émerger la beauté de la noirceur. L’anthracite sied bien à ces compositions lentes et atmosphériques, que d’aucuns placent sous le haut patronnage du légendaire label 4AD. Si l’on s’attend parfois à entendre débouler la voix extra-terrestre de Jonsi, le chanteur de Sigur Ros (“Even numbers”), il faut bien reconnaître que Gregor Samsa trouve sa marque de fabrique bien personnelle dans une formule bien connue : ligne de guitare hypnotique, montée progressive de la tension, qui atteint au bout de quelques minutes des cîmes vertigineuses, puis développement durable de cette tension à la manière de Mogwai. Ajoutons-y le mariage d’une voix masculine et d’une autre féminine, chose assez singulière… à part chez Low. Les fans du groupe de Duluth seront d’ailleurs en terrain connu à l’écoute de “These points balance” sur l’album qui nous intéresse.

Comme pour le titre de l’album “27 :36”, il y a dans cette manière d’annoncer un minutage une vision un peu froide, désincarnée, presque chrirurgicale, de cette musique. “55 :12” somme comme un avis de décès, avec deux dates (naissance, mort), pourtant ça vit dans ces chansons, de même qu’entre une date de naissance et un avis de décès, il se passe bien des choses… et des métamorphoses. En littérature, si un auteur décrit une métamorphose, c’est toujours pour insister, paradoxalement, sur la continuité des caractères intrinsèques des éléments, qui se transmettent dans la métamorphise en question. Ainsi, dans son poème mythologique, le poète latin Ovide décrivit Deucalion et Pyrra, seuls survivants du déluge, jetant des pierres derrière eux. Les pierres devienrent des hommes, qui avaint la solidité de la pierre. Il faut en sorte que tout change pour que rien ne change.

Si la mythologie est une tentative d’explication du monde, il ne faut peut être pas trop chercher à expliquer la musique de ce groupe, juste se laisser gagner par ses paradoxes. Quand Gregor Samsa jette des notes fragiles, cela se métamorphose en chansons profondément fragiles malgré l’apparente rudesse qu’elles affichent parfois : l’expression “Loud and clear” (c’est le titre d’une chanson) est parfaite pour exprimer cette formidable dychotomie musicale responsable de l’un des plus beaux émois de 2006. Comme ces gros bras capables de pleurer devant une histoire d’amour au cinéma, Gregor Samsa est un groupe un peu à part, qui recèle bien des secrets.

*****

Gregor Samsa “55 :12”, 1 CD (Own Records/Differ-ant), 2006

Makeshift shelters / Even numbers / What can I can manage / Loud and clear / These points balance / Young and old / We’ll lean that way forever / Lessening

jeudi 8 juin 2006

Jean-Marc Grosdemouge