C’est la faute du prof

C’est l’un des films culte des années 90, il a été oscarisé et en tout cas c’est l’un des sommets de la carrière de Robin Williams. Que vous l’ayez vu à sa sortie en salle, ou sur VHS, DVD ou encore un soir de semaine sur la TNT, tout le monde ou presque a vu (ou revu) “Le Cercle des poètes disparus”.
Comme bien des gens en 1990, j’ai adoré “Le Cercle des Poètes Disparus” à sa sortie. “Fan” n’est pas un vain mot me concernant puisque j’ai acheté dans la foulée “Feuilles d’herbes” de Walt Whitman et la bande originale signée Maurice Jarre, sur casette des éditions Milan. J’ai vibré lors des cours de monsieur Keating, eu envie de monter sur scène avec Neal, eu envie d’en finir comme lui quand son père lui a annoncé qu’il serait retiré de Welton, et été triste quand il s’est donné la mort. J’ai aimé ce film, puis l’ai oublié, occupé que j’étais à vivre mes propres études, sous la férule de professeures parfois passionants, parfois basiques. Jeune adulte je me souviens y avoir repensé comme un de ces films un peu niais, je veux dire ; de ceux qu’on aime à quinze ans mais qu’on ne peut aimer l’âge venu. Ah oui, ce prof de lettres un peu farfelu… mais ça finit mal. Vous êtes nombreux à penser aujourd’hui comme je pensais alors. J’ai changé d’avis et je vous explique pourquoi.
John Keating, ancien de Welton, y est devenu professeur de lettres. Dès le départ, il bouleverse la pédagogie, en cherchant à pousser ses élèves à devenir des esprits libres. Quelle plus plus belle pédagogie ? Mais quand le film se termine, un élève, Neal, s’est est donné la mort et le professeur Keating est renvoyé. On n’a donc qu’une seule idée en tête : la pédagogie originale, méfiance puisque ça peut causer le suicide de jeunes gens.
Mais si l’on y regarde de près, qu’est-ce qui relie le suicide de Neal à monsieur Keating ? Dans la tête des parents et de l’administratien, qui veulent un coupable et pas de vagues, deux choses : le Cercle des Poètes Disparus (cerrains élèves se retrouvent la nuit dans une grotte pour lire des textes) et le fait que Neal ait fait du théâtre contre la volonté de son père. Sauf que…
1 – Keating n’est pas responsable de la reformation du Cercle. Ce n’est pas lui qui en a parlé lors d’un cours, mais ses élèves qui en ont entendu parler dans l’annuaires des anciens élèves. Et quand ses élèves lui en parlent, il leur explique que l’administration de l’école ne verrait pas cela d’un bon oeil. Neal ne parle pas de son envie de théâtre lors du Cercle, et son l’existence de ce dernier et le fait que Neale en faisait partie est connue, c’est à cause de l’imprudence de l’élève Charles Dalton qui parle du Cercle dans le journal de l’école.
2 – Ce n’est pas Keating qui pousse Neal Perry à faire du théâtre : il en a toujours eu envie. Et quand le père de Neal annonce à son fils qu’il doit arrêter et que ce dernier parle à Keating, le professeur conseille à Neal d’être franc avec son père. Neal choisit de mentir à son père, et c’est cela qui entraîne le drame. Mais Keating n’a jamais enseigné à ses élèves qu’il faut mentir. Il leur a fait apprécier la poésie. Mais dans le tête du spectateur crétin, poésie et théâtre c’est la même chose, c’est Keating qui a entraîné Neal sur la pente fatale. En somme : il aurait du faire des cours chiants.
Tout comme enseigner consiste à planter une graine, ce film de Peter Weir a planté ses graines dans des millions de cerveaux depuis sa sortie. certains adultes restent fidèles à cet idéal d’adolescence une fois adultes, d’autre s’en détournent. Pour quel idéal ? En France, au XXIe siècle, on assassine des enseignants. Il y aura hélas d’autres Samuel Paty et d’autres Dominique Bernard, parce que d’autres ont semé des graines dans des cerveaux fragiles (cf le procès de cette semaine), et toutes n’ont pas fini de germer, hélas. Mais on est bien d’accord : quand il y a des parents et des élèves, s’il se passe quelque chose, pas de vague. A la fin c’est toujours la faute du prof. Le “pas de vague” est à ce prix là.