Wu Lyf “Go Tell Fire to the Mountain”

Il y a des albums qui marquent une époque, et d’autres qui semblent surgir de nulle part pour s’inscrire dans une brèche, brûlant trop vite pour être rattrapés. “Go Tell Fire to the Mountain” appartient à cette seconde catégorie : une déflagration aussi soudaine qu’incontrôlable, dont la cendre continue de flotter plus de dix ans après que le brasier se soit éteint.
Manchester a toujours eu ce don étrange pour faire émerger des groupes qui refusent les sentiers battus, qui prennent la tangente et défient l’évidence. Wu Lyf est de cette race-là. Pas un groupe, mais un mouvement. Pas un album, mais un brasier. “Go Tell Fire to the Mountain” est leur unique album, il a aussi valeur testament. C’est une illumination fulgurante, rimbaldienne. Un cri primal poussé depuis les souterrains de la pop anglaise. Une révolution autant économique qu’artistique : pas de label, pas d’intermédiaire, juste une musique qui prend aux tripes et brûle tout sur son passage.
Difficile de cerner ce qu’ils sont vraiment, ces garçons de Manchester souvent masqués, insaisissables et auto-proclamés World Unite Lucifer Youth Foundation. Le secret fait partie de leur grammaire, mais l’important est ailleurs : dans ces chansons déchirantes, épileptiques, qui évoquent à la fois la transe et la mélancolie. Leur musique ne se laisse pas domestiquer : elle surgit des entrailles, brute, tribale, incandescente. Elle ne caresse pas, elle bouscule. Elle ne traverse pas l’auditeur, elle l’arrache à lui-même. “Go Tell Fire to the Mountain” a été enregistré comme si c’était la fin du monde (on est accueillis dans le premier titre par un orgue sépulcral) et peut-être que pour eux, c’était le cas.
Il y a dans cet album une intensité propre aux œuvres qui ne spéculent pas sur l’avenir, qui ne gardent rien sous le coude. Wu Lyf joue comme si c’était la dernière fois, avec cette flamboyance désespérée de ceux qui n’économisent pas, qui se jettent à corps perdu dans l’instant. Les morceaux avancent comme des tempêtes sur un étang mort, grondant, éclatant en vagues de mercure scintillant et toxique. Cette musique est une fissure, une faille sismique dans le paysage du rock. Un son brut, sans concession, débarrassé des fioritures qui l’alourdissent d’ordinaire.
On pense parfois au premier album des Stone Roses, dans cette même manière d’inventer un ailleurs, de plonger le rock dans un psychédélisme déglingué, porté par une rythmique hypnotique et une guitare coupante comme du verre brisé. Mais là où les Mancuniens de 1989 tournaient en spirales lumineuses, Wu Lyf trace un sillon plus sombre, plus viscéral. L’urgence y est totale, le chant d’Ellery Roberts, râpeux et implorant, lacère chaque morceau, creuse des sillons dans la chair.
Wu Lyf n’aura été qu’une étincelle, mais quelle étincelle ! Ils ont joué à l’autarcie, refusé la presse, repoussé les offres des labels et entretenu une opacité volontaire. Mais l’important, au fond, c’est la musique, et elle, elle reste. Brute, enivrante, indélébile. “Go Tell Fire to the Mountain” est un disque qu’on n’oublie pas. Parce que Wu Lyf n’a jamais voulu durer. Parce qu’ils ont tout donné d’un coup. Parce qu’ils ont choisi de brûler plutôt que de s’éteindre à petit feu.
★★★★★
Wu Lyf “Go Tell Fire to the Mountain” (2011), disponible en CD et sur les plateformes d’écoute
L Y F / Cave Song / Such a Sad Puppy Dog / Summas Bliss / We Bros / Spitting Blood / Dirt / Concrete Gold / 14 Crowns for Me & Your Friends / Heavy Pop
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