The Stones Roses “The Stones Roses”

L’Angleterre a souvent eu besoin de groupes-messies pour réveiller une scène musicale en perte de vitesse. En 1989, Manchester n’attendait plus rien… et The Stone Roses ont tout changé Avec cet album psychédélique et pop, c’est une vague qui a englouti les guitares post-punk et le cynisme des années 80 pour les remplacer par des hymnes planants et insouciants. “The Stone Roses” était une prophétie, une déclaration d’intention : le rock pouvait à nouveau être libre, sensuel et extatique.
Dès l’intro de “I Wanna Be Adored“, la messe est dite. Une basse hypnotique, un riff qui flotte dans l’air, une batterie qui avance sans forcer – et puis la voix de Ian Brown, nonchalante, presque désinvolte, comme si le charisme n’avait jamais eu besoin de cris pour s’imposer. She Bangs the Drums arrive ensuite, morceau solaire et euphorique, où le groupe capture l’essence même de l’hédonisme, ce moment où l’on se perd dans la musique comme dans une nuit sans fin.
Les Stone Roses, c’est avant tout une alchimie parfaite entre ses membres. John Squire, héritier psychédélique de Jimi Hendrix et Johnny Marr, déroule des guitares hallucinées qui semblent s’étirer à l’infini. Mani, à la basse, ancre le groupe dans une rythmique fluide et groovy, pendant que Reni, batteur sous-estimé, injecte une souplesse dans chaque morceau, quelque part entre le funk et le jazz.
Et puis il y a Ian Brown. Pas le plus grand chanteur du monde, mais sans doute l’un des plus cools. Une voix traînante qui semble flotter au-dessus de la musique, comme si les morceaux existaient déjà avant lui et qu’il ne faisait que les accompagner.
Groove psychédélique de Manchester
Si l’album est si unique, c’est parce qu’il fusionne le rock des années 60 avec les beats de la scène club. “Waterfall“, “Don’t Stop” ou “Shoot You Down” ont cette grâce hypnotique qui rappelle que le groupe a grandi avec la house music et le dancefloor autant qu’avec les Beatles.
Mais derrière les harmonies chatoyantes, il y a aussi la tension politique. “Elizabeth My Dear” reprend “Scarborough Fair” en une minute suffocante où Brown menace directement la monarchie britannique. “Made of Stone” est un trip hallucinatoire, “This Is the One” un appel à l’évasion, et “I Am the Resurrection“, qui clôt l’album, une démonstration de force où chaque membre du groupe semble transcender son instrument. Un final en forme de cathédrale sonore, un morceau qui n’appartient plus seulement à 1989 mais à l’éternité.
Une carrière mythique ou chaotique ?
Après ce coup de maître, les Stone Roses se perdent dans les sables mouvants du business et des procès. Bloqués par leur label Silvertone, ils ne peuvent pas sortir de nouvel album avant d’avoir réglé leurs différends contractuels. Le groupe prend du retard, et quand “Second Coming” arrive enfin en 1994, le monde a changé, et les pantalons baggy de Madchester ont cédé la place à l’Union Jack de la britpop. Ce second album, plus bluesy, plus dense, plus sombre, divise. Certains crient au génie sous-estimé, d’autres y voient un groupe en perte de repères. L’attente était trop longue, la Britpop avait pris le relais, et les Roses, malgré quelques concerts légendaires, finissent par imploser en 1996. Mais c’est peut-être ce qui, par contraste, fait la force de leur premier album : il brille encore aujourd’hui comme un soleil figé dans le ciel de Manchester, éternellement jeune, éternellement libre.
★★★★★
The Stones Roses “The Stones Roses” (1989)
I Wanna Be Adored / She Bangs the Drums / Waterfall / Don’t Stop / Bye Bye Bad Man / Elizabeth My Dear / (Song for My) Sugar Spun Sister / Made of Stone / Shoot You Down / This Is the One / I Am the Resurrection