Vichy-Sigmaringen : terminus

Vichy-Sigmaringen : terminus
Huit heures de podcast pour suivre les derniers collabos dans le château des Hohenzollern : avec “Sigmaringen, le crépuscule des bourreaux”, Philippe Collin réussit l’exploit de rendre captivant ce repli grotesque de la Collaboration, loin des clichés et des récits faciles, avec la méthode historique qui s’imposent. Un grand podcast, au sens plein du terme : vivant, rigoureux, salutaire.

Sigmaringen, c’est souvent l’angle mort dans le grand récit de la Seconde Guerre Mondiale, ce lieu de repli, grotesque et sinistre, où les débris du régime de Vichy se réfugient à l’automne 1944, croyant encore exister, avec même un journal et une radio qui émet deux heures chaque soir. Philippe Collin en fait un théâtre d’ombres, peuplé de fantômes convaincus d’être vivants. Pendant huit heures, il réussit à captiver sans relâche avec les figures secondaires de l’Histoire (Jean Luchaire, Fernand de Brinon, Marcel Déat, Jacques Doriot), ces noms qu’on croise dans les marges des manuels, trop souvent éclipsés par le duo Pétain-Laval.

Ce qui frappe d’abord, c’est la rigueur du dispositif. Collin n’est pas dans le récit érudit façon Bern ou Ferrand, ces conteurs qui décorent le passé d’anecdotes lustrées. Lui fait œuvre d’historien : il pose une problématique, confronte les sources, multiplie les points de vue, et surtout, donne la parole à des chercheurs, à de véritables universitaires, bref à ceux qui, patiemment, font de la recherche, pas des livres pour têtes de gondoles. Le résultat, c’est un travail d’histoire au sens fort, qui interroge autant qu’il raconte.

Sur le terrain, Collin, qu’on rencontre d’abord gare de l’Est à Paris, embarque une petite équipe de visiteurs dans le château des Hohenzollern. Parmi eux, une jeune universitaire de vingt-sept ans confie qu’elle a entendu parler de Sigmaringen pour la première fois… en écoutant le précédent podcast de Collin consacré à Pétain. La mise en abyme est vertigineuse : le podcast engendre désormais sa propre postérité savante. Le savoir devient vivant, transmissible, contagieux.

Et il y a la cohérence d’un parcours. Après avoir consacré huit heures au Maréchal, puis huit autres à Céline (voir notre article), Collin retrouve ces deux figures à nouveau réunies, mais cette fois en exil, du côté allemand du miroir. “Sigmaringen” est un focus sur la décomposition morale de l’Etat français, sur la façon dont les idéologies meurent : lentement, pathétiquement, et dans le déni (cf la “divine surprise” de la contre offensive des nazis dans les Ardennes). La voix de Collin, à la fois précise et mélancolique, traverse les couloirs du château comme un fil d’Ariane : chacun a son étage, Pétain détient le pouvoir mais n’est plus concrètement aux manettes. On entend presque le craquement des souliers sur le parquet, les échos de conversations qui se refusent à admettre la fin, les témoignages et les extraits sonores d’époque ponctuent le tout..

Là où d’autres auraient cherché le romanesque, Collin capte par le son l’absurde, le grotesque, la lente désagrégation d’un monde persuadé de durer. Le montage, les silences, les respirations : tout respire la mise en scène. Collin pratique un “cinéma de l’oreille”, à la manière de Yann Paranthoën. Il ne reconstruit pas le passé, il l’ausculte. Et va même jusqu’à revenir sur l’épuration, en interrogeant le lexique : on ne parle plus d’épuration “sauvage” mais d’épuration “populaire” et les tontes sont longuement analysées.

Et tandis qu’on entend résonner le nom du château des Hohenzollern, difficile de ne pas sourire jaune. On ne sait pas si la Macronie finira dans une pissotière avec quelques amateurs de vieux quignons humides, mais on sait au moins où a fini la Pétainie : dans un château biscornu, recluse, déchue, engoncée dans sa honte, persuadée jusqu’au bout d’incarner la France.

C’est là toute la force de Collin : faire de la radio un lieu de pensée. Rappeler que raconter l’Histoire, ce n’est pas la mettre en scène, mais la comprendre. Et que dans ce château où tout s’effondre, ce sont nos propres fantômes qui se reflètent. Vous regrettez le duo de “Panique au Mangin Palace” ? Xavier Mauduit officie chaque matin de la semaine sur France Culture. Lui aussi parle d’histoire (un sujet par semaine, décliné chaque jour), et c’est également de grande tenue.

A écouter sur le site de Radio France

J-Marc Grosdemouge