Lemon Jelly “Lost Horizons”

Lemon Jelly “Lost Horizons”

Cet album est une aventure sonore imprévisible, où chaque morceau mêle collages ludiques, mélodies entêtantes et excentricité britannique. Une musique soignée qui surprend à chaque instant.

“Lost Horizons” a la simplicité des oeuvres enfantines : colorées, sans prise de tête, pas encombrées de références pesantes, sans posture artistique convenue. Si l’on osait, on les comparerait aux australiens de The Avalanches, mais version “so british”, c’est à dire des gens bien élévés qui produisent une musique foutraque, mais propre sur elle. Même si “Lost horizons” présente bien, le duo Lemon Jelly, Fred Deakin le graphiste (qui signe le design du groupe) et son ami d’enfance Nick Franglen, le paysagiste, aiment qu’il y ait dans leur musique “idée de suprise permanente.” “L’auditeur ne sait jamais ce qui va se passer dans le suite de nos morceaux” déclarent-ils.

Et en effet, ces deux anglais qui signent leur premier album (les maxis avaient créé une attente) en tout point surprenant : le premier morceau (“Elements”) commence par les mots “ash, metal, water, wood” et finit avec de la cornemuse (instrument un peu terroir). Le deuxième (“Spacewalk”) contient des extraits de ce qui ressemble à des conversations entre des cosmonautes et leur base. Pourtant, c’est un album terrien : tous les éléments sonores sont identifiables. Leur agencement l’est parfois moins. C’est que tout est très travaillé… Néanmoins, si tout est travaillé, et bien travaillé, chez Lemon Jelly, les rythmes déboulent on ne sait quand, des mélodies évoquent les boites à musiques aux sonorités entêtantes de notre enfance, une flûte traversière rend un morceau sombre un peu plus guilleret (“Ramblin man”). C’est travaillé, mais ça part dans tous les sens. “Return to Patagonia” évoque de la jungle teintée de jazz (à cause du sax et du piano), une jungle qui aurait raidi sous l’effet du froid, et qui vire “choeurs de l’Armée Rouge” au bout de sept minutes. Pas banal.

“Nice weather for ducks” est une sorte de folk pastorale passée à la moulinette électro, avec de vrais morceaux de guitares dedans (comme “The curse of Ka’zar). Sur “Nice weather for ducks”, on entend un chant masculin qui fait penser à “La marseillaise” mais aux paroles moins guerrières (“all the ducks are swiming in the water”), avant que le morceau ne passe à une rumba façon Perez Prado. “The curse of Ka’zar” finit comme une B.O. de film S.F. (“2001, l’odysée de l’espace” par exemple). On l’a compris : aucun morceau ou presque dans la même ambiance que celle par laquelle il a commencé. “Experiement n°6” craque comme les bons vieux vinyls : c’est un peu jazzy, un peu contemporain, une voix récite. Et puis il y a toujours quelque chose qu’il s’y ajoute : un nouveau rythme, une ambiance James Bond. Dans un morceau de Lemon Jelly, il y a progression, accumulation, collages, digressions, c’est un assemblage raffiné d’éléments qui sont normalement très durs à rendre cohérents les uns par rapport aux autres.

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Lemon Jelly “Lost horizons”, 1 CD (XL Recordings/Beggars), 2002

Elements / Space Walk / Ramblin’ Man / Return To Patagonia / Nice Weather For Ducks / Experiment Number Six / Closer / The Curse Of Ka’zar 

samedi 30 novembre 2002

Jean-Marc Grosdemouge