Les Eurockéennes de Belfort, les 1, 2 et 3 juillet 2005

Les Eurockéennes de Belfort, les 1, 2 et 3 juillet 2005

Compte-rendu de trois jours de musique, mais aussi : comment Trent Raznor a failli me laisser en chaise roulante pour le reste de ma vie. Non seulement, le journalisme musical ne paie pas mais en plus, on peut y laisser sa santé. Autant être reporter de guerre.

Quand on pense que les Eurockéennes de Belfort, créées en 1989 sous l’appellation “Le Ballon (d’Alsace, NDR) Territoire de Musiques ” ont parfois invité des artistes un poil trop mainstream (on a pu y entendre Alliance Ethnik, De Palmas à ses débuts, ou voir Blindfish, le groupe de David Halliday, s’y prendre des détritus alimentaires), tout en puisant dans les réserves de nouveaux talents qui sont ensuite devenus grands, on ne peut que se réjouir de ce que cette édition, la dix-septieme du nom, ait été un cru bien charpenté. Un peu allégées au niveau de la programmation métal, ces Eurockéennes ont su marier découvertes et grosses machines. Des poids lourds de la world (Amadou et Mariam), de la chanson (Cali, qui a fini son set plutôt rock avec une chemise déchirée par les fans après avoir fait du stage diving, Louise Attaque, avec un son aussi mauvais que la semaine précédente au Furia Sound), ou rock (Garbage, qu’on aurait en effet pu voir au “Live 8”, même s’ils y étaient “de tout coeur” par la pensée) et des petits : Nosfell et Ez3ekiel, pour un show très poétique, ou les très énergiques La Phaze, par exemple.

Qui connaissait Tom Vek ou Balkan Beat Box avant de venir sur les rives du Malsaucy ? Pas nous, et on ne regrette pas de s’être aventurés sur la plage. On regrette en revanche de ne pas avoir vu le Brésilien Tom Zé : il parait que son show, devant un public clairsemé, était mémorable. On rapporte que notre homme a même joué… de la meuleuse ! Mais les festivals virent souvent à la course (vite, y’a machin qui commence à tel endroit) et des choix s’imposent. Pour ce qui est de la diversité, dès le premier soir, on était servi : les Eurocks font dans le contraste. Comme en amour charnel, cette programmation savait alterner douceur et rudesse. Vendredi, ça commençait par une léchouille (les soeurs Cassady alias Cocorosie à la Loggia), puis par une pénétration (Josh Homme et ses Queens of the Stone Age sur la grande scène), suivie d’une petite turlute au miel (Emilie Simon, accompagnée par un orchestre à cordes et les Percussions Claviers de Lyon, sous le Chapiteau) avant une sodo aux graviers. A savoir Nine Inch Nails, et son leader lugubre et bodybuildé, Trent Raznor (photo ci-contre).

Trent qui a renversé un énorme projecteur sur le pratiquable devant moi alors que je faisais des photos devant la scène, et a failli me laisser en chaise roulante pour la vie. Il s’en est fallu de peu, mais le projecteur n’a pas fini sa chute à terre (c’est à dire sur mes jambes). Il faut croire que mon heure n’était pas venue. C’est sans bien me rendre compte de la chance inouïe que j’ai eue, que j’ai assisté au show du groupe américain. Un groupe à qui le mot hargne va comme un gant. N’empêche, Trent, si jamais je te recroise, on aura une explication toi et moi. Je t’ai jamais rien fait de mal, et c’est pas cool de t’en prendre à moi comme ça. En plus, j’avais bien signé le papier comme quoi les photos que je faisais ce soir là étaient bien pour M la Music et qu’elles ne seraient cédées à aucun autre support. Ton image t’appartient, Trent, c’est vrai. Tout comme mes jambes m’appartiennent. T’as de la chance que je te colle pas un procès.
C’est donc avec mes deux jambes miraculées (je ne me plaindrai plus jamais de mes gros mollets désormais) que je suis allé voir de la country à la Loggia (Will Oldham barbu alias Bonnie Prince Billy, Andrew Bird) mais aussi la reformation du duo lorrain Kas Product (qui se produisait au même endroit que Suicide en 2003), avec une Mona Soyoc très virulente. En la voyant dans sa tenue blanche, toute menue et donnant de la voix, on se serait cru dans les années 80. Le rock américain a pris des formes aussi variées que celles de The Killers, The Bravery (typés eighties), d’Interpol (du sous-Joy Division, mais bien foutu), de Bright Eyes (Conor Oberst a bien tout un stock de jolies mélodies derrière sa mèche à la Pollux) ou The Faint (qu’on imaginait pas aussi dansants), tandis que les Européens répliquaient massivement avec les Anglais Bloc Party et les Belges Ghinzu. Mais surtout, grâce aux Eurockénnes, la sensation n’a pas été que rock. Comme quoi il faut se méfier du nom de ce festival tous azimuts : ainsi, dimanche, on a pu voir avec plaisir à deux heures d’intervalle le Brésilien Amon Tobin réciter ses gammes drum and bass puis les Allemands de Kraftwerk.

Ainsi le show le plus mémorable de ces trois jours a eu lieu non pas sur la grande scène (réservée à… Mass Hysteria et son rock hardcore gros cul) mais sous le Chapiteau. C’est là que les connaisseurs de cette électronique primitive (le quatuor de Düsseldorf officiait déjà dans les années 70) ont assisté à un show qui semblait avoir été conçu sur le papier millimétré de nos cours de techno du collège. D’abord, on vit nos bons hommes engoncés dans des costards-cravates sombres, à la manière de Gilbert et George, cheveux courts ou rasés, chacun derrière un pupitre et un ordinateur, envoyer leur tubes synthético-métronomiques et machiniques (“Tour de France”, “The Model”, “Trans Europe Express”, “Radioactivity”) puis sous forme de robots (pour le titre “We are the robots”, evident) et enfin dans des tenues noires tout aussi synthétiques que leur musique, combinaisons striées de bandes fluo verticales autant qu’horizontales.

Heureusement que les membres du groupe, qui ont pratiquement la même taille et la même morphologie : que l’un ait des problèmes de poids, et cette belle harmonie qui semble façonnée par la chirurgie esthétique, serait rompue. Servi par des projections vidéo minimales (le plus souvent des mots, ou les paroles de chansons), voilà un concert qui se regardait comme des automates. Impossible de ne pas être hypnotisé par la rigueur toute germanique de cette prestation un peu mutante et robotique. Massive Attack, lors de son show de 2003, semble s’être beaucoup inspiré de cette esthétique cyborg futuriste.
On repassait en coulisses quelques minutes plus tard, et l’on y croisait Emilie Simon qui demandait “ils sont chez qui Kraftwerk ?” (EMI, lui répondait un homme affable alors que j’aurais plutôt lâché : tu le saurais si tu avais leurs disques) pour aller voir Royksöpp, noyés dans une purée de pois. Là, c’est tout de suite autre chose, et les jeunes Norvégiens n’égalent pas les vétérans allemands. Et l’on repartait vite, très vite. Enfin, non, après une dernière bière, en se disant que des jambes c’est quand même bien pratique pour marcher de scène en scène dans les festivals rock de l’été. Avant de finir, sachez que Guillaume “comment dirais-je” Durand, a enregistré un numéro de l’émission Trafic “plutôt pas mal” Musique durant ce festival. Si c’est aussi drôle que celui de l’an passé à Montreux (avec “Greg” David, et où l’on apprenait que Bristol est “dans la banlieue de Londres”), c’est à magnétoscoper. Sans faute.

mercredi 6 juillet 2005

Jean-Marc Grosdemouge