Jay-Jay Johanson “Whiskey”

En 1996, un Suédois au visage anguleux et à la voix de velours sortait un premier album en apesanteur. Whiskey de Jay-Jay Johanson s’est imposé comme une perle de spleen trip-hop, un disque nocturne et enfumé où les beats de Bristol flirtent avec un jazz spectral. Un album intemporel, insaisissable, dont l’élégance mélancolique continue de hanter les âmes sensibles.
Jay-Jay Johanson, c’est la mélancolie transformée en bande-son. On pourrait le croire échappé d’un vieux film noir, silhouette longiligne traînant son spleen dans une ruelle humide, le col relevé et l’œil perdu. À la croisée de Chet Baker, Portishead et David Sylvian, “Whiskey” est un album qui donne la sensation d’un crépuscule permanent, où chaque note suinte l’abandon et la solitude.
Dès “It Hurts Me So“, Jay-Jay Johanson pose son ambiance : nappes brumeuses, piano solitaire, beats minimalistes et cette voix fragile, tremblante, qui semble effleurer les mots comme s’ils allaient se briser. L’album déroule ensuite son envoûtement lent et hypnotique, entre trip-hop ralenti (“So Tell The Girls That I Am Back In Town“), ballades éthérées (“I Fantasize of You“) et éclats de jazz crépusculaire (“Mana Mana“). “The Girl I Love Is Gone” fait figure d’instant suspendu, la complainte d’un homme trop lucide sur ses chagrins.
Mais ce qui fait la force de “Whiskey“, c’est son refus de la surenchère. Là où d’autres albums trip-hop des 90s misaient sur la lourdeur des textures, Jay-Jay Johanson joue la carte de l’épure. Un piano, une ligne de basse caressante, quelques scratches discrets – et ce chant à la lisière du murmure, qui donne à chaque chanson une intensité dramatique décuplée. On devine les volutes de fumée, les verres d’alcool à moitié vides, les nuits trop longues. Tout semble suspendu dans l’espace-temps, quelque part entre une scène de Lost Highway et une aube blafarde sur un boulevard désert.
Le sommet du disque ? Probablement “So Tell The Girls That I Am Back In Town“, tube vénéneux où Jay-Jay Johanson jongle entre désinvolture et désespoir feutré, dans un jeu d’équilibriste qui deviendra sa signature. L’album se clôt avec “I’m Older Now“, ballade spectrale qui nous laisse avec cette impression persistante d’un cœur en miettes et d’un monde trop froid.
À l’époque, “Whiskey” relevait presque de l’ovni. Trop jazzy pour les puristes, trop électronique pour les amateurs de crooners, il a trouvé sa place dans les interstices, là où la beauté et la tristesse se confondent. Aujourd’hui, il reste un chef-d’œuvre du spleen scandinave, un disque parfait pour les âmes errantes qui cherchent un refuge dans la nuit.
★★★★☆
Jay-Jay Johanson “Whiskey” (1996, BMG)
It Hurts Me So / So Tell The Girls That I Am Back In Town / The Girl I Love Is Gone / Mana Mana / Do You Know What It’s Like To Be Lonely? / I Fantasize Of You / Tell Me Like It Is / Reminders Of You / Where The Wild Roses Grow / Jay-Jay Johanson / I’m Older Now