A Guy Called Gerald “Black Secret Technology”

L’onde de choc jungle qui a tout changé : avec “Black Secret Technology”, A Guy Called Gerald a écrit une page essentielle de la musique électronique. Peu connu du grand public, c’est un album culte, insaisissable, aussi fascinant qu’inépuisable.
Il y a ces albums qui définissent un moment, une bascule. “Black Secret Technology”, sorti en 1995, est l’un de ceux-là. La jungle existait déjà, bien sûr. On était en pleine explosion rave, les breakbeats s’affolaient, les basses rebondissaient comme des uppercuts. Mais Gerald Simpson, alias A Guy Called Gerald, est allé plus loin. Il n’a pas juste capturé l’énergie brute des raves UK, il l’a sublimée en un manifeste futuriste, un disque dont l’aura résonne encore aujourd’hui.
Déjà un vétéran à l’époque, Gerald Simpson avait signé un classique house avec “Voodoo Ray” en 1988. Mais au lieu de s’installer dans la redite, il a plongé dans la jungle naissante et en a extrait son essence la plus profonde. “Black Secret Technology” est un album radicalement immersif. Les beats n’y sont pas juste éparpillés, ils flottent, vrillent, s’étirent en échos insaisissables. C’est un album qui respire, où chaque morceau semble en perpétuelle mutation.

Science-fiction et vibrations UK
Dès “So Many Dreams”, on comprend que l’on quitte la terre ferme. La voix spectrale de Finley Quaye plane sur un tapis de breakbeats vaporeux. L’atmosphère est moite, urbaine, chargée d’électricité statique. Plus qu’un simple disque, “Black Secret Technology” est une architecture sonore, un millefeuille de nappes et de beats déconstruits, où chaque détail semble millimétré. Simpson injecte une dose de soul et de mysticisme dans la jungle, là où d’autres y voient une simple course à la vitesse.
Le disque porte aussi la marque de Manchester. Contrairement à la jungle londonienne, souvent plus brutale, Gerald injecte un groove presque dub dans ses compositions. “Finley’s Rainbow” en est l’exemple parfait : un mélange de jazz abstrait, de basses moelleuses et de rythmes erratiques qui rappellent la drum and bass atmosphérique à venir.
Un disque visionnaire
Ce qui frappe, près de trente ans après sa sortie, c’est combien “Black Secret Technology” reste inclassable. Ni totalement dancefloor, ni complètement introspectif, il flotte dans une zone grise entre expérimentation et club music. Certains y voient l’ancêtre du liquid funk, d’autres un précurseur du sound design moderne. À sa sortie, pourtant, le disque ne trouve pas le chemin du grand public. Trop en avance sur son temps, il est mal distribué et manque d’un vrai single accrocheur pour exploser dans les charts. Il faudra attendre les rééditions et la reconnaissance tardive pour qu’il retrouve la place qu’il mérite.
A Guy Called Gerald “Black Secret Technology”, 1 CD (Juice Box), 1995
So Many Dreams / Alita’s Dream / Finley’s Rainbow / Survival / The Nile / Energy / Cyberjazz / Dreaming of You / Radiator
Écoute obligatoire :
Si vous devez plonger dans un morceau pour comprendre le génie de cet album, écoutez “Energy”, où les percussions semblent se tordre dans un tunnel spatio-temporel.
Ou encore “The Nile“, un trip méditatif où la basse vibre comme une incantation.