Vashti Bunyan, L’éphémère éternité d’une nomade folk

Vashti Bunyan, L’éphémère éternité d’une nomade folk

Certaines étoiles mettent des décennies à briller. En 1970, Vashti Bunyan enregistre un album folk d’une pureté absolue, ignoré à sa sortie et devenu culte trente ans plus tard. De son voyage hippie aux Hébrides à son retour miraculeux dans les années 2000, retour sur l’histoire d’une musicienne qui a su attendre son heure.

Vashti Bunyan, c’est l’histoire d’un fantôme musical devenu culte. Une voix de cristal, un unique album disparu dans l’ombre et une résurrection tardive qui l’a élevée au rang d’icône folk intemporelle. À la fin des années 60, elle rêve d’un folk pastoral, d’un monde sans fureur où la musique coulerait comme une rivière paisible. Mais l’époque ne veut pas d’elle. Il faudra attendre plus de trente ans pour que son héritage soit reconnu, porté par une génération de musiciens en quête de pureté sonore.

Version 1.0.0
Just Another Diamond Day” (1970) : l’oublié devenu culte

L’histoire commence en 1968. Fille de bonne famille, Vashti Bunyan quitte Londres avec son compagnon pour un voyage à cheval vers les Hébrides. Inspirée par Bob Dylan et Donovan, elle écrit sur la route des chansons empreintes de nature et de rêverie, capturant un folk bucolique à l’état pur. Sur les conseils de Joe Boyd (Nick Drake, Fairport Convention), elle enregistre “Just Another Diamond Day” avec une équipe de rêve : Robin Williamson (Incredible String Band), Simon Nicol (Fairport Convention) et Robert Kirby (arrangeur de Nick Drake). L’album, pourtant, passe inaperçu. Trop fragile, trop éthéré pour une époque en pleine explosion psychédélique. Déçue, Vashti abandonne la musique et disparaît pendant trois décennies. Au début des années 2000, l’album est redécouvert par une nouvelle génération de musiciens fascinés par sa grâce hors du temps. Devendra Banhart, Joanna Newsom et Animal Collective s’en réclament. Le disque est réédité en 2000 et devient instantanément un classique culte, adoré pour sa simplicité pastorale et son intemporalité.


Lookaftering” (2005) : de retour après 35 ans d’absence

Encouragée par cet engouement, Vashti Bunyan revient à la musique et entre en studio pour enregistrer Lookaftering, son premier album en 35 ans. Produit par Max Richter, l’orfèvre d’un néo-classicisme feutré, le disque prolonge l’univers pastoral de “Just Another Diamond Day“, mais avec une gravité nouvelle. Sa voix, toujours aussi fragile, semble s’être patinée avec le temps, gagnant une douceur plus profonde. Entourée d’une constellation de musiciens admiratifs – Joanna Newsom, Devendra Banhart, Adem Ilhan – elle tisse un album où la délicatesse devient une force. “Hidden“, “Turning Backs” ou encore If I Were rappellent la mélancolie suspendue de Nick Drake, tandis que des pièces comme Lately semblent flotter hors du temps. La critique est unanime : “Lookaftering” n’est pas juste un retour, c’est une révélation tardive. Un miracle d’élégance où la folk minimaliste devient une méditation sur le temps qui passe.


Heartleap” (2014) : l’adieu en douceur

Neuf ans après, Vashti Bunyan revient avec “Heartleap“, un album encore plus intime et personnel. Contrairement aux précédents, celui-ci est entièrement autoproduit, Vashti souhaitant un contrôle total sur sa musique. Pour la première fois, elle compose aussi bien les mélodies que les arrangements, offrant un album plus épuré, presque spectral. Loin de la production soignée de Lookaftering, Heartleap joue la carte du dépouillement : les guitares acoustiques flottent sur des nappes électroniques subtiles, et chaque chanson semble s’effacer à mesure qu’elle se dévoile. “Across the Water“, “Blue Shed“, “Here“… autant de morceaux où l’on devine une artiste qui, après avoir tant attendu, choisit de tirer sa révérence en douceur. L’album n’a pas l’écho du précédent, mais il n’en a pas besoin. C’est un dernier murmure, un adieu délicat, dans lequel Vashti Bunyan accepte enfin son destin : une étoile filante de la musique, dont l’éclat aura mis cinquante ans à être vu.


Vashti Bunyan est devenue une légende à rebours. Oubliée à ses débuts, elle est aujourd’hui vénérée comme une pionnière du folk intimiste. Son influence plane sur des artistes comme Fleet Foxes, Jessica Pratt ou même Sufjan Stevens. Une preuve que parfois, les plus belles histoires prennent du temps pour éclore.

Jean-Marc Grosdemouge