DFA Records, l’art du groove new-yorkais entre sueur et machines

DFA Records, l’art du groove new-yorkais entre sueur et machines
DFA Records, c’est l’histoire d’un label qui a électrifié New York et redéfini l’indie-dance du XXIe siècle. Fondé en 2001 par James Murphy, Tim Goldsworthy (ancien de Mo’ Wax) et Jonathan Galkin, DFA a réussi à fusionner l’urgence du post-punk avec la transe électronique, réconciliant ainsi les rockeurs et les clubbers sous une même bannière. Un son identifiable entre mille : percussions sèches, basses rondes, synthés vintage et un sens du groove taillé pour la moiteur des dancefloors. Voici cinq albums clés qui racontent l’histoire et l’impact du label.
The Rapture “Echoes” (2003)

En 2003, DFA envoie une première onde de choc avec “Echoes“, l’album qui inaugure l’ère du dance-punk. The Rapture, un quatuor new-yorkais affamé, combine les guitares tranchantes de Gang of Four et le côté tribal du no wave, le tout propulsé par des beats house nerveux. “House of Jealous Lovers“, single incendiaire produit par James Murphy et Tim Goldsworthy, devient instantanément un hymne, avec son riff de basse abrasif et sa batterie frénétique. Mais “Echoes” ne se résume pas à un seul tube : “Olio” flirte avec l’electro façon Detroit, tandis que “Sister Saviour” et “Killing” installent une tension dansante qui deviendra la marque de fabrique du label. DFA venait de signer la bande-son idéale des clubs indie-rock du monde entier.


LCD Soundsystem “LCD Soundsystem” (2005)

Si The Rapture a été l’étincelle, LCD Soundsystem en sera le brasier. James Murphy, patron du label et ex-batteur frustré, s’affirme en tant qu’artiste avec un premier album à la fois mordant et ultra-dansant. “LCD Soundsystem” est un disque-manifeste où il synthétise ses influences, du krautrock motorique de Can aux beats house de Chicago, en passant par l’humour désabusé de la scène punk new-yorkaise. “Losing My Edge“, où il se moque des poseurs qui découvrent aujourd’hui des groupes qu’il connaissait “avant eux”, devient un classique immédiat. “Daft Punk Is Playing at My House” et “Tribulations” sont des bombes dancefloor, tandis que “Great Release” et “Never as Tired as When I’m Waking Up” dévoilent une facette plus introspective. Cet album lance véritablement DFA sur la scène internationale et impose LCD Soundsystem comme un groupe incontournable de son époque.


The Juan Maclean “Less Than Human” (2005)

Moins connu du grand public, The Juan Maclean est pourtant un pilier du label. Ancien guitariste du groupe hardcore Six Finger Satellite, il trouve chez DFA l’espace pour réinventer son approche musicale, troquant les guitares contre les synthés analogiques et les boîtes à rythmes. “Less Than Human” est un disque fascinant qui navigue entre krautrock, house et electro minimaliste, rappelant parfois Giorgio Moroder ou Kraftwerk. “Give Me Every Little Thing” mixe beats robotiques et voix vocodées dans une ambiance moite et hypnotique, tandis que “My Time is Running Out” se rapproche de la techno berlinoise. Cet album incarne l’aspect le plus expérimental de DFA, avec une approche plus cérébrale et répétitive, parfaite pour les nuits blanches et les dancefloors sombres.


Hercules & Love Affair “Hercules & Love Affair” (2008)

En 2008, DFA ressuscite le disco avec un chef-d’œuvre : le premier album d’Hercules & Love Affair. Projet d’Andy Butler, un DJ passionné de house et de funk, l’album est une lettre d’amour à l’âge d’or du dancefloor new-yorkais. Porté par la voix bouleversante d’Antony Hegarty (Antony and the Johnsons), le single “Blind” explose partout, conjuguant lignes de basse funky et section de cuivres chatoyante. “You Belong” et “Athene” prolongent cette plongée dans un disco mutant et queer, avec des clins d’œil appuyés à Arthur Russell et Frankie Knuckles. En reconnectant DFA avec l’héritage du Studio 54 et du Paradise Garage, cet album prouve que le label sait aussi regarder vers le passé pour mieux réinventer le présent.


Shit Robot “From the Cradle to the Rave” (2010)

Avec Shit Robot, alias Marcus Lambkin, DFA s’offre un projet hybride entre electro, house et pop, toujours avec ce son analogique caractéristique. “From the Cradle to the Rave” est un disque élégant et percutant, où l’on croise des invités prestigieux comme Nancy Whang (LCD Soundsystem) ou James Murphy lui-même. “Take ‘Em Up” est une bombe taillée pour les clubs, entre basses rondes et mélodies vaporeuses, tandis que “I Found Love” ralentit le tempo pour s’aventurer sur des territoires plus introspectifs. Cet album, peut-être le plus sous-estimé du catalogue DFA, résume pourtant à merveille l’ADN du label : un équilibre entre hédonisme et mélancolie, entre euphorie et groove hypnotique.


Si la folie DFA des années 2000 s’est un peu calmée, le label continue d’exister, même après le départ de Jonathan Galkin en 2020. LCD Soundsystem a pris une retraite temporaire avant de revenir en 2017 avec American Dream, prouvant que James Murphy avait encore de belles choses à dire. Les artistes de DFA ont essaimé un peu partout, influençant la scène indie et électronique actuelle, de Hot Chip à Caribou, en passant par Róisín Murphy et DJ Koze.

DFA, c’était plus qu’un label : c’était une esthétique, une façon de penser la musique comme un terrain de jeu où tout est permis, où les guitares et les synthés cohabitent sans complexe, où l’on peut danser tout en restant cool. Et tant qu’il y aura des amateurs de basses moites et de beats imparables, l’esprit DFA continuera de briller.

Jean-Marc Grosdemouge