Everything But the Girl “Fuse”

Vingt-quatre ans de silence, une éternité dans le monde de la pop. Et pourtant, Everything But the Girl revient avec “Fuse”, un album inespéré où Ben Watt prouve qu’il n’a rien perdu de son génie des machines, et où la voix de Tracey Thorn, légèrement voilée par le temps, reste toujours impériale.
Il y a des retours qu’on n’attend plus. Des groupes qu’on classe dans une époque, qu’on vénère avec nostalgie et dont on ne songe même pas à espérer une nouvelle incarnation. Everything But the Girl était de ceux-là. “Walking Wounded” et “Temperamental” avaient scellé leur empreinte électro dans les années 90, comme une transition parfaite entre l’ère sophistiquée du sophisti-pop et le virage électronique des clubs. Et puis, le silence. Pas trois quatre ans comme font la plupart des artistes.
Vingt-quatre ans de silence. On commence à se dire “affaire classée, mais ils n’ont pas annoncé la chose”. Et voilà que Fuse arrive, inespéré. Dès les premières pulsations de “Nothing Left to Lose”, Ben Watt rappelle à tout le monde qu’il n’a rien perdu de son génie des machines. Approchant la soixantaine, il tisse des textures sonores aussi actuelles que celles des jeunes producteurs de vingt ans, sans jamais verser dans la redite ni l’opportunisme. Des basses profondes, un beat ciselé, une atmosphère moite et organique qui évoque aussi bien Burial que les grandes heures du UK Garage – l’EBTG 2023 s’écoute dans la nuit, quelque part entre le club et l’intime.
Et puis il y a la voix, magique, de Tracey Thorn. Un peu patinée par le temps, légèrement voilée par les années, mais toujours impériale. Légère et grave à la fois, capable de transformer une ligne mélodique en frisson pur. Sur “Run a Red Light”, elle murmure comme si elle livrait un secret ; sur “Caution to the Wind”, elle survole les nappes électroniques avec cette grâce désabusée qui lui est propre.
“Fuse” n’est pas qu’un retour, c’est de l’ordre de la renaissance : les enfants sont grands, on revient, vous êtes prêts ? Oh que oui ! Aucun clin d’œil nostalgique aux 90s, aucune tentative de reproduire le passé. Everything But the Girl avance, explore, réinvente sa propre formule. L’album est sombre, mélancolique, profondément moderne. Il parle du temps qui passe, des nuits qui ne finissent jamais, des amours trop tardives. Il s’écoute d’une traite, comme une immersion dans un Londres nocturne et électrique.
Vingt-quatre ans après “Temperamental”, EBTG pourrait sortir une compilation de remixes de titres anciens, mais il sort une compil de ses meilleures tracks récents, faits maison. Quand bien d’autres grattent les fonds de tiroir, aucun opportunisme, c’est du produit frais. “Fuse” est un disque furieusement d’aujourd’hui. Plus qu’un retour, c’est la preuve que Ben Watt et Tracey Thorn n’ont jamais cessé d’être essentiels.
★★★★★
Everything But the Girl “Fuse”, 2023 (Virgin), dispo en physique et sur les plateformes d’écoute
Nothing Left to Lose / Run a Red Light / Caution to the Wind / When You Mess Up / Time and Time Again / No One Knows We’re Dancing / Lost / Forever / Interior Space / Karaoke