The Divine Comedy “A Short Album About Love”

Entre grandiloquence et mélancolie, entre Scott Walker et une comédie romantique anglaise des années 90, Neil Hannon n’a jamais fait semblant d’être pop. “A Short Album About Love” est une déclaration passionnée, un condensé de lyrisme orchestré, conçu comme un écho ironique aux épanchements sentimentaux du cinéma hollywoodien. En sept titres et trente-deux minutes, il dit tout, et comme Cupidon, vise juste.
Au moment où cet album paraît, The Divine Comedy est en pleine ascension. “Casanova” (1996) vient d’offrir à Neil Hannon son premier succès, avec son mélange de pop orchestrale et d’esprit caustique. Mais plutôt que d’enchaîner sur un autre grand disque pop à la structure classique, il prend un virage singulier : enregistrer un mini-album en live avec un orchestre de trente musiciens, en pleine tournée. Résultat : “A Short Album About Love” respire le velours des grandes salles, avec des arrangements luxuriants qui servent un propos plus nuancé qu’il n’y paraît. Car derrière la splendeur des cordes et des cuivres, derrière l’exubérance d’un Hannon crooner plus baroque que jamais, il y a quelque chose de profondément triste, désillusionné. Loin de l’album romantique attendu, c’est une œuvre sur les illusions de l’amour, sur ses faux-semblants.
L’ouverture “In Pursuit of Happiness” donne le ton : une entrée en matière fastueuse, dramatique, portée par un orchestre en pleine explosion. Mais déjà, dans les paroles, on sent le sarcasme de Hannon : “If you’re looking for me, you’d better check under the sea, ’cause that is where you’ll find”. Vient alors “Everybody Knows (Except You)“, morceau phare de l’album, qui conjugue une mélodie irrésistible et une orchestration digne de Burt Bacharach. C’est la confession d’un homme invisible, ignoré de celle qu’il aime. À la fois drôle et cruel, typique de la patte Divine Comedy : une chanson qui sonne comme un standard des années 60, mais dont le texte dévoile une misère sentimentale mordante.
“Someone” prend ensuite le relais, avec une beauté presque religieuse. Hannon y explore une facette plus vulnérable, sur un mode lyrique et suspendu. On pense à Scott Walker, encore et toujours. Puis “If…“, inspirée du célèbre poème de Kipling, joue avec l’idée d’un amour inconditionnel, mais glisse, derrière ses envolées orchestrales, un doute corrosif. Puis vient “If I Were You (I’d Be Through with Me)“, titre au sarcasme évident, où Hannon pousse la théâtralité encore plus loin. La grandiloquence devient grotesque, et on se demande si cet album ne s’écoute pas comme une suite de scènes d’un opéra romantique absurde. L’avant-dernier morceau, “Timewatching“, offre un moment d’accalmie. C’est une ballade pure et déchirante, où la voix de Hannon prend toute son ampleur. Enfin, “I’m All You Need” clôt l’album sur une note faussement triomphante “c’est moi qu’il te faut”. Déclaration d’amour ultime ? Ou un chant du cygne, une prière désespérée enveloppée de trompettes dorées et de violons emphatiques.
Hannon n’a jamais fait de la pop comme les autres. Sur “A Short Album About Love“, Neil Hannon pousse son goût pour la grandeur orchestrale jusqu’au bout, tout en y insufflant son humour mordant et sa lucidité sentimentale. C’est un album qui joue avec le kitsch, avec l’émotion, qui jongle entre sincérité et ironie. Ce n’est pas un disque d’amour, c’est un disque sur l’idée qu’on s’en fait, sur les arrangements grandioses qu’on y projette – exactement comme ces cordes somptueuses qui enveloppent l’album. Un album bref, mais inoubliable.
★★★★★
The Divine Comedy “A Short Album About Love” (1997, Setanta Records), sur les plateformes de téléchargement
In Pursuit of Happiness / Everybody Knows (Except You) / Someone / If… / If I Were You (I’d Be Through with Me) / Timewatching / I’m All You Need