Les Nonnes Troppo “Les Nonnes Troppo”

Les Nonnes Troppo “Les Nonnes Troppo”

A base d’humour provoc’ et de bricolage musical, à mi-chemin entre l’artisanat punk et le cabaret rural, et qui donne à l’album une texture unique, cet enregistrement public est un O.V.N.I., qu’on peut également visionner.

Difficile de trouver plus inclassable que Les Nonnes Troppo, cet étrange collectif lyonnais qui, en 1988, sort un album totalement hors des cadres : un ovni sonore où se croisent chanson déglinguée, humour absurde et expérimentations joyeusement foutraques. Un cabaret dadaïste, où les guitares manouches côtoient le punk en cartin, où le jazz flirte avec le rock de rue, où l’anarchie se fait musique.

Structuré en quatre “Livres” (référence aux évangiles ?), ce délire théâtral se vit comme une succession de sketches musicaux, où chaque morceau semble être une petite pièce de théâtre déjantée. Dès “Jazz“, l’entrée en matière est une fête bancale, à la fois maîtrisée et volontairement chaotique. Puis viennent les hymnes improbables, comme le culte “Frites Moules”, pastiche de chanson populaire qui se moque des restos d’autoroute, et où la gouaille des Nonnes Troppo fait des merveilles.

Les ambiances changent sans prévenir : du rock burlesque (“Le Roi de la Route”, qu’on entendra plus tard chez les V.R.P.), au reggae approximatif (“Reggae”), en passant par des embardées manouches (“Flamenco”), du yéyé bordélique (“Say Yeah”), ou encore du quadrille revisité sous acide (“Quadrille”). On sent que ces musiciens ont lu “Hara Kiri” et “Charlie” et pas “La Croix” et ne se refusent rien, et que l’humour est leur moteur principal.

Mais derrière cette grande farce, un véritable talent de musiciens et d’arrangeurs se cache. “La Haine du Mouton” pastiche le punk rock, ridiculisant avec un plaisir manifeste la théâtralité du genre. “Papy Surfer” sonne comme un tube oublié des Beach Boys sous Tranxène, et Pierrot renoue avec une certaine poésie cabossée. Et puis, il y a cette contrebassine fabriquée main, pilier d’un groove brinquebalant et signature sonore de la troupe, qui rappelle que chez Les Nonnes Troppo, la musique est autant une affaire de débrouille que de talent.

Les Nonnes Troppo, c’est l’art du détournement, la dérision comme philosophie. En 1988, cet album s’imposait comme un joyau d’absurdité musicale, et aujourd’hui encore, il reste une expérience unique, un objet culte pour ceux qui aiment leur musique avec un grain de folie.

★★★★☆

Les Nonnes Troppo “Les Nonnes Troppo” (Bondage), 1988

Jazz / Frites Moules / Le Roi De La Route / Le P’tit Chien / Le Crapaud / Quadrille / Say Yeah / Papy Surfer / Pork N’Roll / Reggae / Samba / Mangoulé / Flamenco / Le Vélo / Les P’tits Business… / La Haine Du Mouton / La Villa Monplaisir / Notre Sœur / Pierrot / Jérôme / Corinne

Le spectacle est à voir ici

Jean-Marc Grosdemouge