Les Négresses Vertes

Les Négresses Vertes

Pour inaugurer notre rubrique “Dans le rétro”, place à ce groupe à géométrie variable. À la fin des années 80, alors que le rock français se cherche une identité entre new wave et variété, comme Zorro un groupe surgit hors de la nuit. Comme un tourbillon, ils mettent joyeux bordel où punk, musette, raï et guinguette s’embrassent sur un dancefloor cabossé. Les Négresses Vertes, c’est l’urgence de la rue, le goût de la fête et le son d’un Paris métissé.

Mlah” (1988) : la java punk

L’entrée en scène est fracassante: une fusion improbable entre la gouaille d’un Renaud sous amphètes, l’énergie des Pogues et l’ivresse d’une fête foraine en pleine nuit. “Voilà l’été” devient un hymne instantané, avec son accordéon bondissant et son refrain insouciant. “Zobi la mouche”, entre argot et absurde, joue la carte de la fanfare punk. “Il”, plus sombre, laisse entrevoir la profondeur mélancolique du groupe derrière la fête. Cet album, produit à Londres et taillé pour le live, est une bombe. Les textes sont à la fois poétiques et déglingués, portés par Helno, chanteur solaire et maudit, dont la voix fumeuse claque comme une déclaration de liberté. “Mlah” est une détonation dans le paysage musical français.


Famille Nombreuse” (1991) : l’échappée

Avec “Famille Nombreuse”, le groupe veut aller plus loin, voir ailleurs. L’influence des musiques du monde se fait plus nette : le raï et la cumbia s’invitent aux côtés des valses urbaines. “Sous le soleil de Bodega” est une transe brûlante, “Face à la mer” une montée d’adrénaline. Les cuivres claquent, les percussions s’emballent, Massive Attack, collègues de chez Delabel, les remixe. Mais derrière l’euphorie, une ombre plane. Helno est de plus en plus aspiré par ses démons, l’héroïne le ronge. En coulisses, la tension monte. Après un enregistrement de “Taratata” où on l’invite à rester en loges, Helno touve la mort, qu’il avait bien cherchée


Zig-zague” (1994) : sans phare, sans filet

La tragédie frappe en 1993 quand Helno s’éteint à 29 ans. “Zig-zague”, enregistré sans lui mais avec son spectre partout, est un disque erratique qui veut clamer qu’après la pluie vient le beau temps (le titre d’une chanson). L’énergie festive est toujours là, mais les orchestrations sont plus denses, la mélancolie plus lourde. “Anba Latia” flirte avec le reggae, “Le grand détournement” pousse encore plus loin les explorations world. Le groupe est orphelin et tente de continuer, mais quelque chose s’est brisé.


Après cela, malgré un “Trabendo” (1999) de belle facture, les Négresses Vertes poursuivront sans jamais retrouver la même alchimie. Ils existent encore, mais sans cette urgence qui les rendait si uniques.
Aujourd’hui, leur musique reste une parenthèse enchantée, un mélange décomplexé et visionnaire qui n’a pas pris une ride. “Mlah” reste un classique du rock français en mode Negrabouchbeat, un disque qui sent la bière, la nuit et la liberté.

Jean-Marc Grosdemouge