Peter Perrett “The Cleansing”

Peter Perrett revient avec “The Cleansing“, un double album où il observe la rédemption d’un œil cynique, entre rage maîtrisée et élégance brisée. Son songwriting acéré et sa voix lasse transforment l’illusion du pardon en un cri d’amertume absolue, porté par une production somptueuse où chaque note tranche comme un rasoir.
Comment comprendre le titre de cet album, “The Cleansing” ? Une purification, une rédemption, ou peut-être une ultime ironie sur l’illusion du changement ? Dans le langage des Narcotiques Anonymes, être clean signifie être sobre, mais chez Peter Perrett, qui a traversé des décennies d’addictions, cette idée de nettoyage semble plus ambivalente. Est-ce un dernier geste pour s’affranchir du passé, ou simplement une manière de constater que même la rédemption ne mène à rien ?
On avait laissé Perrett sur “Humanworld” en 2019, un disque aussi classe que désabusé, prouvant que l’ex-leader des Only Ones avait encore du jus. Cinq ans plus tard, Peter Perrett revient avec “The Cleansing“, un album ample, racé, et plus ambitieux que jamais. Double album de vingt morceaux, il n’a rien du geste anachronique d’un vétéran cherchant à exister dans un monde qui l’a oublié. Perrett, lui, s’en fout royalement : il continue de chanter comme s’il savait déjà que tout est foutu, mais avec une élégance qui ne faiblit pas.
Dès “I Wanna Go With Dignity“, le ton est donné. Ce retour s’ouvre sur une confession, entre humour noir et détachement fataliste, où la voix traînante de Perrett se pose sur des guitares cristallines. Un bijou de songwriting qui rappelle pourquoi il est l’un des derniers vrais dandys du rock britannique. “Back in the Hole” envoie du lourd, avec une attaque de guitares tranchantes qui évoque The Stooges, un groove implacable et une tension quasi post-punk qui font de ce morceau l’un des moments forts de l’album.
Mais le sommet, c’est “Less Than Nothing”, un morceau où Perrett détruit toute illusion. Les paroles sont une négation pure et simple : “It means nothing / It means less than nothing.” Il s’adresse à quelqu’un qui tente de s’excuser à travers une chanson, mais chaque mot est balayé avec un cynisme implacable. Pas de rédemption ici, juste le rejet d’une histoire qui ne vaut même plus la peine d’être remémorée.
L’analyse des paroles renforce ce sentiment de nihilisme absolu. Il commence par constater l’inévitable répétition des erreurs (“This all happened before, it will happen again”), puis démonte l’illusion du pardon : “Did you think it’d change the way I feel?” Rien ne compte, pas même les souvenirs. L’un des passages les plus marquants, “Is there life before death?”, pose une question existentielle en forme de coup de grâce, renforcée par cette conclusion froide et définitive : “Every word that you said / Every person you loved / It means nothing.”
Ce désenchantement total rappelle The Apartments, dans cette manière de transformer la douleur en une élégance crépusculaire. Peter Milton Walsh et Peter Perrett partagent cette voix lasse, traînante, où le flegme apparent cache une profondeur vertigineuse. Là où The Apartments laisse toujours une place à une forme de nostalgie douce-amère, Perrett, lui, semble avoir tout brûlé derrière lui.
Ce qui frappe ici, c’est le son. Jake Perrett, son fils, qui produit l’album, affine encore plus cette alchimie entre guitares acérées et ambiances feutrées. À ses côtés, Carlos O’Connell (de Fontaines D.C.), Johnny Marr et Bobby Gillespie viennent ajouter quelques touches bien senties, sans jamais voler la vedette. “The Cleansing” sonne large, ample, avec une production léchée qui, loin de trahir Perrett, lui offre une assise majestueuse.
L’album joue sur un équilibre entre éclats de rage maîtrisés (“Burning Bridges“) et élégance brisée (“Strange Love“), rappelant que Perrett n’a jamais été qu’un rocker abîmé : il est aussi un orfèvre du songwriting. À 72 ans, il ne fait pas un disque pour faire plaisir aux nostalgiques. Il chante encore et toujours l’amour perdu, la déchéance, et l’absurdité du temps qui passe, mais avec une dignité rare.
Avec “The Cleansing“, Peter Perrett signe un disque à la hauteur de sa légende. Plus qu’un simple retour, c’est un album de la trempe des grandes œuvres tardives, celles qui disent tout, sans concessions, en regardant la fin droit dans les yeux. Magnifique et cruel.
★★★★★
Peter Perrett “The Cleansing” (2024, Domino), disponible sur les plateformes d’écoute
I Wanna Go With Dignity / Disinfectant / Fountain Of You / Secret Taliban Wife / Solitary Confinement / Women Gone Bad / Survival Mode / Mixed Up Confucius / Do Not Resuscitate / The Cleansing / All That Time / Kill A Franco Spy / Set The House On Fire / Feast For Sore Eyes / There For You / Art Is A Disease / World In Chains / Back In The Hole / Less Than Nothing / Crystal Clear