Cat Power “What Would the Community Think”

Cat Power “What Would the Community Think”
En 1996, Chan Marshall, alias Cat Power, n’est encore qu’une figure discrète de la scène indie américaine. Après un premier album confidentiel (“Dear Sir“), elle s’affirme avec “What Would the Community Think“, un disque brut et spectral, où la fragilité devient une arme et où chaque note semble flotter entre le murmure et le cri.

Produit par Steve Shelley, batteur de Sonic Youth, l’album capture une tension permanente, oscillant entre minimalisme folk, dissonances noise et éclats de grâce. Un disque hanté, qui semble autant inspiré par la folk torturée de Karen Dalton que par l’énergie brute du punk, où chaque morceau porte en lui une tempête intérieure.

La beauté dans la douleur

Dès “In This Hole“, une ballade lancinante où la voix de Chan Marshall semble surgir d’un gouffre, on comprend que “What Would the Community Think” ne sera pas un album aimable. Il est froid, introspectif, parfois inconfortable, comme si chaque chanson était une confession arrachée à un passé trop lourd.

Puis arrive l’un des sommets de l’album : “Nude as the News“. Plus rythmé, plus affirmé, c’est aussi l’un des morceaux les plus autobiographiques de Cat Power. Sous des airs presque pop, le texte évoque en réalité un avortement subi à l’âge de 20 ans, un traumatisme raconté sans filtre, avec des paroles cryptiques mais viscérales (“I still have a flame gun / For the cute cute cute cute ones”) et une guitare qui oscille entre urgence et effondrement.

Mais “What Would the Community Think” n’est pas un album de catharsis évidente. C’est un disque de doutes, de silences, d’ombres, où chaque chanson semble lutter contre elle-même. “They Tell Me” ou “The Fate of the Human Carbine” avancent en apesanteur, comme si la musique pouvait disparaître à tout moment, tandis que “Water and Air” joue avec des arpèges hypnotiques pour mieux plonger dans l’abîme.

Un disque clé, mais encore insaisissable

Avec cet album, Cat Power pose les bases de ce qui fera sa singularité : une voix qui vacille entre la douceur et l’effondrement, des chansons où le vide est aussi important que les notes, une honnêteté radicale qui touche au cœur. On n’est pas encore dans la mélancolie plus accessible de “Moon Pix” (1998), mais déjà, on sent la naissance d’une artiste à part, capable de transformer le chaos intérieur en beauté fragile. Un disque essentiel pour comprendre Cat Power, brut et sans concession, comme un murmure qui refuse de s’éteindre.

★★★★☆

Cat Power “What Would the Community Think” (1996)

In This Hole / Good Clean Fun / What Would the Community Think / Nude as the News / They Tell Me / Taking People / Kings Ride By / Water & Air / The Coat Is Always On

Cat Power en concert le 8 juin 2025 lors du festival Art Rock à Saint Brieuc

Alain Cattet