Austra : quand le spleen se met à danser

Austra : quand le spleen se met à danser
Après plusieurs albums où la mélancolie flirtait avec l’électronique glaciale, Austra revient avec “Chin Up Buttercup“, un disque où la douleur se danse et se chante. Katie Stelmanis transforme les blessures intimes en pulsations électro, et chaque morceau devient un exutoire à la fois intime et collectif, entre confession et catharsis lumineuse.

Avec “Chin Up Buttercup“, Austra revient comme on revient d’un long tunnel émotionnel, les vêtements encore trempés, mais le regard brûlant de lucidité. Katie Stelmanis n’a jamais été avare de drames intérieurs, mais ici, elle les transfigure en une sorte de liturgie dance, un chœur électro où l’on s’abandonne autant qu’on s’exorcise. On pense à ces albums façonnés dans l’après-coup, là où le chagrin ne cherche plus à séduire, seulement à dire vrai, mais filtrés par une esthétique euro-dance qui frôle parfois la trance mystique.

Dès “Amnesia“, tout est clair : l’amour est un chaos, et Stelmanis s’y jette comme si chaque synthé planant pouvait recoller les morceaux. Sa voix, toujours aussi fragile et hiératique, se débat dans un écrin électronique où la douleur n’est plus un aveu mais une pulsation. Puis arrive “Math Equation“, pièce centrale, presque un règlement de comptes sous stroboscope. Le texte pique, lacère, avance sans détour, pendant que les machines montent inexorablement. Austra y retrouve cette manière très à elle de mêler la colère aux lumières artificielles, comme une danse de fin de soirée où l’on sait qu’on ne gagnera rien à par une gueule de bois carabinée, mais où il faut encore brûler quelque chose avant de partir.

L’album s’articule autour de cette tension : la nocturne mélancolie des mots et la clarté cruelle des synthés. Sur “Fallen Cloud“, l’air se raréfie, comme si Stelmanis cherchait un endroit où poser enfin cette douleur trop lourde. C’est le morceau où l’on sent la défaite affleurer, une défaite douce, contemplative. “Siren Song“, lui, préfère courir après ses propres fantômes pop, convoquant mythes et souvenirs culturels comme autant de signaux perdus dans la nuit. Austra y travaille cette ambiguïté si chère à sa musique : l’appel du gouffre et la tentation de s’y abandonner, mais en brillant un peu plus fort en tombant.

Le titre éponyme, courte interlude presque murmurée, ressemble à un faux apaisement, un sourire dans le noir avant que la basse ne revienne fracturer les certitudes. Et dans “The Hopefulness of Dawn“, l’horizon s’ouvre enfin, non pas comme une promesse, mais comme un épuisement lumineux : un lever de soleil sur une foule vidée, où la tristesse cesse un instant d’être une ennemie pour devenir simplement une compagne de route. En clôture, Good Riddance” se pose comme une caresse finale, un relâchement, un souffle qu’on n’attendait plus. Pas de triomphe, pas de morale — juste cette acceptation fragile, presque bancale, qui fait toute la beauté du disque.

Chin Up Buttercup” n’est pas seulement un album de rupture : c’est un album sur l’après, sur ce moment où l’on avance encore cabossé, mais debout, porté par une musique qui refuse de choisir entre la piste de danse et le confessionnal. Austra signe ici une œuvre sincère, vibrante, parfois abrasive, mais toujours habitée.

★★★☆☆

Jean-Marc Grosdemouge