Les textures obscures de Carrier 

Les textures obscures de Carrier 

Un Britannique qui ne cherche pas à séduire en surface, mais sculpte le son comme on travaille le métal ou la pierre. Chaque percussion est un impact, chaque texture un souffle qui s’immisce dans le corps.

Le projet solo de Guy Brewer, déjà connu pour ses expérimentations sous l’alias Shifted et ses traces dans Commix, se déploie ici dans un univers sombre et abstrait, où les rythmes ne sont jamais triviaux et les sons semblent surgir d’un monde parallèle. Après plusieurs E.P., il signe ici son premier album complet, et n’y va pas par quatre chemins : les beats frappent, les textures s’accrochent, et l’atmosphère pèse.

L’album navigue entre drum & bass désossée, techno granuleuse et ambient ténébreuse, avec des touches de dub et de glitch qui lui donnent une profondeur presque physique. Chaque morceau est un univers : “A Point Most Crucial” ouvre le bal avec des percussions palpables et des couches sonores qui résonnent dans le corps, “Outer Shell” se déploie comme une mer de métal liquide, tandis que “That Veil Of Yours” introduit une voix fantomatique, fragile, qui humanise ce monde abstrait. “Offshore“, en clôture, glisse vers une rêverie sombre et planante, laissant l’auditeur suspendu dans l’espace créé par Brewer.

Si on pense à Matmos, c’est pour cette façon de sculpter le son, où chaque échantillon, chaque bruitage est transformé en matière. Si on pense à un autre duo, tiens Autechre par exemple, c’est pour la complexité rythmique et la construction quasi algorithmique de l’album. Mais Carrier ajoute une dimension tactile et sombre qui lui est propre : ses sons frappent, vibrent, occupent l’espace, et l’écoute devient presque physique.

On l’aura compris : aucun titre de ce “Rhythm Immortal” n’est pas fait pour les dancefloors, ces royaumes des rythmes. C’est un album à ressentir, à explorer à l’aide d’un casque (audio, pas de chantier), un disque où le détail de chaque réverbération, de chaque granulation sonore compte. Brewer joue avec le corps et l’esprit, mélangeant organique et synthétique, percussions et silence, introspection et tension.

★★★★☆

Carrier “Rhythm Immortal” (Modern Love, 2025)

J-Marc Grosdemouge