Éric Serra, le grand bleu intérieur
Un trésor liquide, un album qui vous avale doucement avant de vous recracher ailleurs, quelque part entre la surface et l’inconnu. N’oubliez pas de remonter à la surface et pensez à faire des paliers.
“Atlantis” est plus que la BO du film de même nom, ni un simple écrin sonore : plutôt une plongée en apnée dans la psyché d’Éric Serra, à l’époque où Besson lui offrait carte blanche pour habiter l’océan comme on habite un rêve. Sorti en 1991, le film de Besson est dépourvu de commentaire, de récit, de tout ce qui pourrait faire venir le public qui à cette époque raffole des docus Cousteau. Après les succès du “Grand Bleu“ et de “Nikita“, Besson se fait plaisir avec l’argent de Gaumont, réalise un rêve de gamin, et tant pis si jamais ce film ne marche pas (il n’a pas marché). Dans ce contexte, le réal abandonne littéralement son squelette narratif au musicien. C’est Serra qui tient la lumière, le rythme cardiaque, l’humeur des abysses.
On connaît le Serra millimétré du “Grand Bleu“, mais “Atlantis” va ailleurs. Il y met tout : l’orchestre du Royal Philharmonic, ses synthés comme des bulles d’air, ses percussions qui tapent sur les parois du noir marin. Dans “The Secret Life of Angels”, on entend des nappes qui s’élargissent comme si quelqu’un déplaçait les continents au ralenti. “Iguana Dance” injecte un groove presque funky, incongru mais miraculeux. “Shark Attack” joue avec nos nerfs, comme toute musique inspirée par le requin, “cousin méchant” du dauphin (on vend du chocolat blanc avec un requin, pas avec un requin). Serra compose comme si chaque animal avait son langage, sa vibration, sa manière de déranger l’eau.
Même les écarts surprennent : “Time to Get Your Lovin’“, petite ritournelle pop interprétée avec Vanessa Paradis (qui étonnement n’a pas tourné en radio), pourrait tout casser – elle finit par intriguer, comme si une bulle de surface venait perturber la pureté abyssale. Et puis il y a “The Creation“, morceau immense où Serra redevient chamane : un crescendo qui fait respirer la mer comme un organisme géant, un thème qui s’enroule autour de l’image jusqu’à la dompter. Ce qui fascine surtout, c’est la manière dont Serra remplace la parole. Le film n’en a pas, et c’est lui qui parle. Chaque plage devient un chapitre. Le moindre plan de méduse semble dicté par la basse ; les rayons qui percent le bleu profond semblent synchronisés sur les cordes. Serra bâtit un espace mental d’une cohérence rare : un océan intérieur, qui fait plus pour la fiction sous-marine que bien des scénarios.
Trente ans plus tard, la bande originale reste un pivot discret de son œuvre : son disque le plus libre, le plus sensoriel, le plus franchement mystique. Sur près d’une heure et quelque de musique, Serra trouve l’équilibre improbable entre musique de documentaire, opéra et trip méditatif. Pas un geste de trop -juste cette impression d’être suspendu, hors du monde, les oreilles grandes ouvertes.
★★★★☆
Eric Serra “Atlantis” (Virgin), 1991
Eric Serra sera en tournée l’an prochain :
13/11/26 – Rouen · Zénith
14/11/26 – Lille · Zénith
15/11/26 – Dijon · Zénith
18/11/26 – Rennes · Le Liberté
19/11/26 – Caen · Zénith
20/11/26 – Brest · Arena
21/11/26 – Nantes · Zénith
22/11/26 – Poitiers · Arena Futuroscope
24/11/26 – Bordeaux · Arkéa Arena
25/11/26 – Toulouse · Zénith
27/11/26 – Aix-en-Provence · Arena
28/11/26 – Nice · Palais Nikaia
29/11/26 – Montpellier · Zénith Sud
02/12/26 – Lyon · LDLC Arena
03/12/26 – Reims · Arena
04/12/26 – Amnéville · Galaxie
05/12/26 – Strasbourg · Zénith
06/12/26 – Paris · Accor Arena
