Animal, on est bien

Animal, on est bien
Un jeu minuscule en taille, immense en sensations : “Animal Well” est un labyrinthe humide, vibrant, toxique et magnifique, où chaque pas ressemble à un secret qu’on n’aurait pas dû découvrir. Une expérience rare, à la fois rétro, sensorielle et totalement moderne.

Il y a des jeux qui beuglent leur identité, qui te montrent leur budget avant même que tu presses une touche. “Animal Well“, lui, t’attrape autrement : par le silence, l’obscurité, le clapotis d’un pixel humide qui sent la moisissure et le mystère. La première minute ressemble à la dernière – un monde qui ne se donne jamais, qui se découvre par effraction, presque à contre-jour. Le pitch ? Néant. Ou plutôt : pas besoin. Tu te réveilles dans un puits organique, un intestin géant, un ventre de pierre et de bêtes. Pas un mot, pas un tuto, pas une flèche. Billy Basso, le créateur, seul maître à bord, préfère te laisser tomber dans un univers construit comme un disque vinyle : dense, labyrinthique, rituel. Chaque salle est une énigme, chaque énigme une rumeur, chaque rumeur une promesse de danger.

Graphiquement, c’est de l’artisanat pixel, mais avec un sens du détail presque inquiétant : lumières feutrées, transparences, bruissements. L’animation a l’air simple, mais elle cache une chorégraphie d’ombre et de menace. Ce n’est jamais “mignon”, même si le style pourrait le laisser croire : les animaux qu’on croise ont quelque chose d’un cartoon qui aurait trop attendu dans le noir, un sourire trop long, un œil trop fixe. Là où ce jeu devient fascinant, c’est dans sa manière de rendre le joueur intelligent. Pas d’énigmes « à solution ». Pas de pouvoir spectaculaire. Tes outils sont incongrus, presque risibles au début – un yo-yo, une bulle, un pétard — puis, salle après salle, ils deviennent des prolongements logiques de ta curiosité. Rien n’est inutile. Rien n’est expliqué. Et c’est précisément ça qui donne au jeu sa densité : il t’appartient autant que tu lui appartiens.

Il y a un mot que je déteste utiliser en jeu vidéo parce qu’il sert à tout justifier c’est “atmosphérique”. Mais “Animal Well“, lui, mérite le terme. C’est un piège à sensations. Un endroit où le level design ressemble à un état mental : anxieux, méthodique, émerveillé. Un endroit où tu reviens en te disant : “Il y avait quelque chose là, je l’ai senti… j’ai dû passer à côté d’un mécanisme.” Et c’est là son génie : la découverte, la vraie – celle qui flotte au bord de la conscience. Dans un marché qui hurle au réalisme, à l’open world XXL, aux quêtes map-boarding, “Animal Well” prend le contrepied total : petit, labyrinthique, sourd, précis, obsessif. Un jeu qui murmure comme un animal tapi au fond d’un terrier. Un jeu qui regarde le joueur et lui dit : “je n’ai pas besoin d’être grand pour te perdre.”

★★★★☆

Théo Delmas