Greil Marcus "Dead Elvis"
Dans “Dead Elvis, Chronique d’une obsession culturell”e, l’essayiste Greil Marcus explore avec finesse et gravité la postérité d’Elvis Presley : comment, après sa mort, le « King » devient un mythe collectif, un miroir des fantasmes et contradictions de l’Amérique.
Ce livre, composé d’articles rédigés après la disparition d’Elvis, est véritablement la « chronique d’une obsession culturelle » : l’obsession du King. Universitaire et critique culturel, Greil Marcus dissèque sérieusement, d’un texte à l’autre, le mythe Elvis : sa perception par le public, sa persistance des années après sa mort, et sa récupération par les arts — la riche iconographie (bandes dessinées, peintures, pochettes d’album) montre à quel point il a été réinventé.
À la page 169, par exemple, Marcus cite la une du journal The Sun : « Une statue d’Elvis a été retrouvée sur Mars » -un exemple frappant de la façon dont Elvis devient sujet de légendes absurdes et de rumeurs délirantes.
Dans le chapitre intitulé « Vue de Graceland : l’absence d’Elvis », il établit un parallèle saisissant entre les photos officielles de Graceland, prises par William Eggleston à la demande de l’entreprise Graceland, et celles du photographe Walker Evans, qui dans les années 30 a documenté la pauvreté de Tupelo, ville natale d’Elvis. Il suggère qu’Eggleston, sans le savoir, a photographié les mêmes cabanes où le chanteur est né : une image puissante de la tension entre l’enfance modeste d’Elvis et l’édifice mythique qu’il deviendra.
Marcus n’écrit pas une biographie flamboyante ou romanesque, comme pourrait le faire Nick Tosches, mais il parvient tout de même à révéler des vérités peu évoquées et à formuler ses propres réflexions. Il énonce notamment deux idées maîtresses : d’abord, de nombreux ouvrages sur Elvis sont superficiels, voire « nuls » ; il critique notamment le livre d’Albert Goldman, qu’il juge méthodologiquement léger. Ensuite, Elvis reste aujourd’hui largement mal compris, souvent réduit à un cliché sans que l’on saisisse réellement la profondeur de son héritage symbolique.
Au fil des pages, Marcus montre aussi à quel point Elvis est devenu le foyer de fables étranges : certains affirment qu’il n’est pas mort (à l’image de son demi-frère mort-né Jesse Garon), d’autres prétendent que des portions de son corps ont été distribuées comme nourriture ! Il évoque également des groupes religieux célébrant Elvis à la manière d’une divinité. Autrement dit, le cadavre du King ne cesse d’être réinventé — il ne cesse de « bouger » dans l’imaginaire collectif.
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Greil Marcus “Dead Elvis. Chronique d’une obsession culturelle”, 256 pages, Editions Allia
