“Mimi”, portrait d’une ombre toute-puissante

Chaque époque a sa scandaleuse : Du Barry, Mata Hari, Madame Claude, Christine Deviers Joncour, la liste de celles qui ont intrigué dans les coulisses est longue. Aujourd’hui, un nom s’ajoute : Mimi. Ce livre jette une lumière crue – parfois vacillante – sur l’un des personnages les plus insaisissables du pouvoir contemporain.
Elle ne sourit jamais sur les photos mais c’est elle qui vous photographie. Ou plutôt : qui décide quelles images des stars (leur bonheur, leurs turpitudes) verront le jour. Et lesquelles resteront bien enfouies dans les tréfonds des serveurs de Bestimage. C’est là, dans cette agence discrète mais omnipotente, que s’écrit une partie de l’histoire officieuse de la République française. Ce livre a nécessité trois journalistes – Jean-Michel Décugis, Marc Leplongeon et Pauline Guéna – pour tenter de percer les mystères de Michèle Marchand. La femme qui murmurait à l’oreille des puissants. Et parfois, leur “tranchait la gorge” à coups de scoops.
Une balzacienne dans la Macronie
Marchand, c’est Rastignac sans l’éducation classique, Vautrin sans l’arrogance virile : une héroïne balzacienne, née du monde de la nuit et des garages (elle a déjà mis les mains dans le cambouis, au sens propre), passée par la taule et les love stories avec des voyous avant de s’unir à un policier. Le pouvoir, elle le hume. Elle l’approche. Puis elle le dompte. On est dans les zones grises de la République. Et c’est peu dire : Mimi est partout et nulle part. Elle vous décroche une “une”, vous couvre d’un voile de discrétion, orchestre une campagne présidentielle (2017, 29 unes pour Macron, qui dit mieux ?) et console une veuve célèbre pour un héritage (Laetitia Hallyday).
Sa proximité avec Emmanuel et Brigitte Macron dépasse le cadre du simple contrat photo : elle gère leur image privée comme on gérerait un portefeuille d’actions. Elle protège, monnaye, efface. Et parfois, menace. Le flou est son royaume – flou juridique, flou moral, flou temporel. Mimi est puissante parce qu’elle sait. Parce qu’elle a su écouter, capturer, faire taire. Elle s’inscrit en plein cœur de la Macronie, ce conglomérat de start-uppeurs, de communicants et d’affairistes où l’image vaut plus que l’action.
Une enquête qui étourdit
Dès la première page, on est pris de vertige. Les noms défilent – Cyril Hanouna (qu’elle considère comme son fils spirituel), Carla Bruni, Vincent Lindon (fils de sa meilleure amie), Rachida Dati, Alexandre Benalla, Xavier Niel, Henri Proglio, Patrick Bruel. Ce n’est pas un carnet mondain, c’est un jeu de quilles : chacun a croisé Mimi. Certains lui doivent une carrière. D’autres un silence. Et quelques-uns, une ruine. La police, les voyous, les people, les patrons du CAC 40 : tout ce beau monde se croise dans son sillage. Elle tire les ficelles, mais à condition que personne ne tire sur elle.
Les journalistes, eux, ont tenté. Ils l’ont même rencontrée. Mais beaucoup de témoins, après avoir accepté de parler, se sont rétractés. Mimi avait donné consigne de se taire. L’enquête s’en ressent : elle progresse, mais en crabe. On doit lire entre les lignes, supposer, recouper. Le vrai et le pas vérifié s’entremêlent – pas par manque de rigueur, mais parce que les journalistes disent ce qui est sûr et certain, et ce qui relève du faisceau d’indices. C’est parfois flou ? Normal le flou est la meilleure armure de Mimi. Plus elle brouille les pistes, plus elle devient incontournable.
Madame fumée
Michèle Marchand n’a aucun mandat électif, aucun diplôme, aucune légitimité officielle. Et pourtant son pouvoir est bien réel. Comme l’était celui Benalla (qu’elle a aidé) au début du premier mandat. Elle est la gardienne des rumeurs, la patronne des paparazzis, la femme qui fait (et défait) les réputations. Une figure trouble, sulfureuse, indéchiffrable. L’anti-transparence en période de com’ débridée. Elle est la réponse cynique à une époque où tout se joue à l’image : Mimi est l’image. Et le hors-champ.
On lit “Mimi” comme on lirait un polar social, un “Gomorra“ à la française. Sauf qu’ici, les règlements de comptes passent par les plateaux télé, les photos volées et les rumeurs savamment orchestrées. Le livre cite “Les Illusions perdues“ en exergue : pas pour rien. Marchand, c’est Coralie de Balzac en version 5G, c’est le roman de la chute morale d’un monde où l’ambition n’a plus besoin de costume-cravate pour accéder à l’Élysée.
Lecture obligatoire
Il faut plonger dans ce livre qui a évité l’effet Streisand. Pas parce qu’on en sort avec des certitudes mais parce qu’on en sort avec un malaise. Un goût rance. Le sentiment que la presse, la politique et le monde du spectacle copinent un peu trop dans les mêmes dîners. Et qu’au milieu de tout ça, une femme sans titre, sans mandat, mais avec une galerie de photos explosives, peut faire et défaire les réputations. Mimi n’est pas une exception. Elle est un symptôme. Beaucoup de gens du Tout-Paris lui doivent quelque chose. Un cliché, un secret étouffé, une main tendue… ou un chantage évité. Dans le roman de la Vème République version macronienne, Michèle Marchand est ce personnage secondaire qui fait toute l’intrigue. Et ce n’est (peut-être) pas fini ? Prochain épisode : Alexis Kohler ? Yannick Bolloré ? Marc Ladreit de Lacharrière ? Après tout son fils est dans ce livre.
★★★★☆
Jean-Michel Décugis, Pauline Guena, Marc Leplongeon “Mimi”, editions Grasset, 2018.