Guru et le projet “Jazzmatazz”

Guru et le projet “Jazzmatazz”
Quand le hip-hop a commencé à flirter sérieusement avec le jazz, Guru a sorti l’une des plus belles invitations au voyage. “Jazzmatazz“, ce n’était pas juste un projet hybride, c’était un manifeste.

Une déclaration d’amour entre le boom-bap et le swing, entre les cuivres et les samples. En quatre volumes, Keith Edward Elam, alias Guru, membre incontournable de Gang Starr, a esquissé une cartographie musicale où les puristes du jazz et les amateurs de rap se sont retrouvés autour d’un groove commun.

“Jazzmatazz, Vol. 1” (1993) : quand le jazz reprend le micro

En 1993, Guru lance un pavé dans la mare avec “Jazzmatazz, Vol. 1“. Là où tant de rappeurs samplaient déjà du Blue Note et du Prestige, lui décide d’aller chercher les musiciens en chair et en os. Roy Ayers au vibraphone, Donald Byrd à la trompette, le sax de Branford Marsalis… Ce premier volume est une masterclass de coolitude, où le rap ne se contente pas de piocher dans les archives mais dialogue en direct avec les légendes. “Loungin’”, “Le Bien, Le Mal” (avec MC Solaar, clin d’œil à l’amour de Guru pour la France), “No Time to Play”… L’album est une démonstration d’élégance brute, où le flow de Guru vient caresser les instruments avec une précision chirurgicale.


“Jazzmatazz, Vol. 2: The New Reality” (1995) : l’affirmation d’un style

Si le premier opus était un essai transformé, le deuxième volume pousse l’ambition encore plus loin. Guru y affirme une conscience sociale plus aiguisée, tout en peaufinant son esthétique. “Lifesaver”, “Watch What You Say”, “Feel the Music”… Le casting est toujours aussi luxueux avec Chaka Khan, Jamiroquai, et Freddie Hubbard. Ce n’est plus juste un album, c’est une bande-son pour une révolution en costume trois pièces. Moins brut, plus léché, “The New Reality” cherche à élargir encore plus l’audience du projet, touchant un public jazz et soul sans jamais trahir son ADN hip-hop.


“Jazzmatazz, Vol. 3: Streetsoul” (2000) : le virage néo-soul

Avec “Streetsoul“, Guru tourne le dos à l’instrumentation purement jazz pour s’acoquiner avec la vague neo-soul qui monte en flèche à l’aube des années 2000. Moins de trompettes, plus de beats moelleux, et une pléiade de voix smooth : Macy Gray, Erykah Badu, The Roots, Angie Stone… Si certains puristes du projet regrettent l’esprit plus live des débuts, l’album regorge de moments magnétiques, notamment “Plenty” et “Keep Your Worries”. Ce troisième volume montre surtout à quel point Guru sait s’adapter aux mutations du groove sans perdre sa signature.


“Jazzmatazz, Vol. 4: The Hip-Hop Jazz Messenger” (2007) : retour aux racines et chant du cygne

En 2007, Guru revient aux fondamentaux avec “Vol. 4“, sous-titré “The Hip-Hop Jazz Messenger“, en hommage à Art Blakey et son collectif mythique. Ce dernier volet renoue avec l’esprit des premiers albums, mais avec une touche plus contemporaine. Il s’entoure de jeunes pousses comme Slum Village et de figures respectées comme Bob James. Cependant, l’album passe relativement inaperçu, éclipsé par l’évolution du rap et par les tensions grandissantes entre Guru et DJ Premier. Trois ans plus tard, Guru disparaît, laissant derrière lui l’un des legs les plus classieux du hip-hop jazzy.


Avec “Jazzmatazz“, Guru a montré que le rap pouvait s’élever à la hauteur du jazz sans jamais perdre son authenticité. Aujourd’hui encore, son empreinte se retrouve chez Robert Glasper, Anderson .Paak, et même dans certaines productions de Kendrick Lamar. Il a fait ce que peu osaient à l’époque : prouver que ces deux genres, issus d’une même rébellion, pouvaient s’unir sans perdre leur essence.

Jean-Marc Grosdemouge