Jon Spencer Blues Explosion “Now I Got Worry”

Rock’n’roll will never die ? Avec un disque comme “Now I Got Worry“, il ne risque même pas d’attraper un rhume.
Jon Spencer n’a jamais eu besoin de permission pour foutre le souk. Et avec “Now I Got Worry“, il en fait une démonstration éblouissante : 16 morceaux expédiés en 40 minutes, une transe électrique qui tabasse du début à la fin, un disque qui sent la sueur, la bière tiède et le cuir usé des clubs poisseux où le blues se cogne à la violence du punk.
On est en plein dans la période la plus brute du Jon Spencer Blues Explosion, entre “Orange” (1994) et “Acme” (1998), où le trio pousse à fond son concept de blues déglingué, mâtiné de rockabilly, de garage et de hip-hop. Spencer n’imite personne : il éructe, il harangue, il fait du Jon Spencer. Il crache des “Yeah !“, des “Blues Explosion !” avec l’urgence d’un prêcheur possédé, pendant que Judah Bauer et Russell Simins pilonnent leurs instruments avec une intensité qui frôle l’hystérie.
Dès “Skunk“, le ton est donné : feedbacks cradingues, rythmique épileptique, une intro qui semble prête à disloquer les articulations de n’importe quel danseur maladroit. “Wail“, avec son riff rampant et sa tension sexuelle sous-jacente, fait penser à du Little Richard joué par des punks sous amphétamines. “2Kindsa Love” se love dans une moiteur sudiste, portée par un groove irrésistible. Et “Love All of Me” injecte une dose de funk dégénéré qui rappelle que Spencer a toujours su flirter avec le breakbeat.
Mais c’est surtout dans les morceaux les plus rageurs que “Now I Got Worry” atteint son sommet. “Identify” et “R.L. Got Soul“, hommage explosif à R.L. Burnside, sont des brûlots de pur rock’n’roll primitif, du genre qui donne envie de renverser des tables. “Chicken Dog“, où Spencer partage le micro avec Rufus Thomas (!), est un délire rockabilly hystérique qui prouve que même dans son chaos, le groupe garde un sens du groove imparable.
Il y a aussi des étrangetés qui viennent pervertir l’énergie brute du disque : “Fuck Shit Up“, un interlude noisy à la limite du harsh, ou “Hot Shot“, qui sonne comme une vieille cassette enregistrée dans un bunker. On ressort de l’écoute essoré, lessivé, prêt à plonger dans un bar miteux pour hurler à la lune avec un verre de bourbon à la main.
Si “Orange” avait préparé le terrain, “Now I Got Worry” est l’éruption volcanique, le coup de boule qui transforme un groupe déjà génial en machine de guerre du rock’n’roll dégénéré. Pas de fioritures, pas de pause, juste du raw power à l’état brut. À ranger quelque part entre The Cramps, The Stooges et un juke-joint hanté par le fantôme d’Elvis.
Jon Spencer Blues Explosion “Now I Got Worry” (1996, Matador)
Skunk / Identify / Wail / Fuck Shit Up / 2Kindsa Love / Love All of Me / Chicken Dog / Rocket Ship / Dynamite Lover / Hot Shot / Can’t Stop / Firefly Child / Eyeballin’ / R.L. Got Soul / Get Over Here / Sticky