Jean Guidoni, poète de l’ombre

Jean Guidoni, poète de l’ombre
Il faisait partie de cette race à part de chanteurs qui ont servi la poésie en marge du show‑biz, avec exigence et humilité. Jean Guidoni a toujours transformé la mélancolie, le désir et la fragilité en chansons radicales et nécessaires, laissant derrière lui une œuvre intime et profonde.

Je me rappelle très bien d’un instant que j’ai vécu peu de temps après la sortie de son album Trapèze” : ce soir là, Jean Guidoni jouait dans la petite salle de la Boule Noire à Paris. Cet ancien bowling dispose d’un bar tout en face de la scène. Ce soir là, le public était assis, et une travée avait été ménagée au milieu. Et personne au bar : tout le monde écoutait religieusement.

Arrivé en retard, je m’assis sur le sol, dos au bar. Soudain, au bout de quelques chansons, je vis le chanteur marcher à pas lents vers moi. Interloqué je n’osais bouger. Et il fit un signe à la fois ferme mais sans violence qui signifiait “pousse toi de là que je m’y mette”. Il chanta le début de la chanson suivante en se tenant adossé au bar, puis regagna paisiblement la scène micro en main, en continuant de chanter.

Guidoni était un artiste qui voulait toucher juste, là où ça brûle, là où le silence devient cri. Né en 1951 à Toulon, il commence sa vie dans l’ombre des salons de coiffure marseillais avant de s’installer à Paris pour suivre sa voix, son instinct, sa singularité. Très vite, il comprend que la scène est sa maison et que ses textes, ses choix esthétiques, ses bas résille et talons, son maquillage blanc, sont autant de manières de dire l’indicible.

Avec des textes souvent signés Pierre Philippe, Guidoni invente un univers où la mélancolie, la passion, l’humour noir et la transgression cohabitent. Albums comme “Crime Passionnel” ou ses collaborations avec Astor Piazzolla témoignent de cette théâtralité intense et élégante, où chaque mot est pesé, chaque silence calculé. Il a toujours été un homme de marge, refusant les compromis, mais jamais fermé : son exigence artistique s’accompagne d’une générosité rare, capable d’accueillir les jeunes auteurs et musiciens, comme on le voit dans l’album “La Pointe rouge” en 2007, où il se liait à Dominique A, Philippe Katerine ou Jeanne Cherhal.

Même dans ses derniers albums, jusqu’à “Eldorado(s)” en 2025, Guidoni conserve cette voix fragile et puissante, cet art du détail et de l’intime, cette capacité à faire d’un simple mot une émotion qui traverse le temps. Il disparaît le 21 novembre 2025 à Bordeaux, laissant derrière lui une œuvre radicale, discrète et nécessaire. Guidoni n’a pas été une star, mais il a été un maître discret de la chanson française, un chanteur qui transformait le quotidien, le désir et le chaos des sentiments en poésie pure, et qui restera comme un éclat secret dans l’histoire de la musique.

J-Marc Grosdemouge

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