Montagne noire, cœur écorché
Avec “La Dernière Reine“, Jean-Marc Rochette taille un roman graphique minéral et tragique, où la beauté brutale des sommets sert de décor à une histoire d’amour, de guerre et de corps brisés. Un ouvrage incandescent, sec comme un coup de vent, qui rappelle que la BD peut encore mordiller la jugulaire. Beau, dur, radical. Un livre qui ne tient pas la main -et c’est tant mieux.
Il y a chez Jean-Marc Rochette une manière unique de dessiner le monde comme si chaque ligne pouvait s’effondrer d’un simple geste, et “La Dernière Reine” en est l’exemple le plus vif, le plus douloureux, peut-être le plus beau. Cette tragédie de montagne, où la roche parle plus fort que les hommes, avance comme un orage en altitude : lent, lourd, inévitable.

Ce n’est pas une histoire de randonnée ni une carte postale alpestre, c’est un drame charnel, sculpté dans la neige et le sang, où les corps mutilés deviennent des paysages et les paysages des cicatrices. Rochette filme – car c’est bien de cinéma sur papier qu’il s’agit – la brutalité du siècle, la guerre qui broie, l’amour qui tente de survivre, la nature qui observe, indifférente et souveraine. Les visages sont taillés comme des lames, les ombres mordent, les blancs aveuglent, et au milieu de cette tempête graphique deux êtres tentent de se tenir debout, coûte que coûte, face au règne humain qui meurt et à la reine animale qui disparaît. C’est une BD qui sent le froid, la peau, la poudre, la pierre ; une BD qui refuse la consolation et cherche la vérité dans le choc, dans le silence, dans la rugosité. Un livre qui respire où ça fait mal, là où on aime aller.
★★★★★
Rochette “Rochette “La dernière reine” (Casterman)
