Suede, grandeur et (parfois) décadence du glam indé

Suede, grandeur et (parfois) décadence du glam indé
Dans les années 90, alors que la britpop explose en plein vol avec Oasis et Blur en porte-étendards, Suede est déjà ailleurs. Trop décadent, trop tordu, trop amoureux des marges pour jouer les hooligans de stade ou les dandys ironiques.

Le groupe de Brett Anderson et Bernard Butler déroule une esthétique romantique et vénéneuse, entre fards et blessures, riffs cinglants et lyrisme exacerbé. Retour sur une discographie marquée par le génie, les tensions et la rédemption.

Suede” (1993) : le détonateur

Dès leur premier album, Suede s’impose comme la réponse glam aux errances post-Madchester. Porté par des titres flamboyants comme “Animal Nitrate“, “So Young” et “The Drowners“, le groupe se taille une réputation sulfureuse. Brett Anderson, androgyne et habité, chante les amours interdites et les désirs troubles sur des guitares hargneuses. Le disque explose et obtient le Mercury Prize, asseyant Suede comme le groupe le plus excitant du moment.

Dog Man Star” (1994) : le chef-d’œuvre maudit

Plutôt que de capitaliser sur son succès, Suede choisit la fuite en avant. Bernard Butler, en plein conflit avec Anderson, pousse la musique vers un opéra rock désespéré et baroque. “Dog Man Star” est un disque immense, hanté, nocturne, qui déchire la britpop de l’intérieur. “The Asphalt World“, “We Are the Pigs” et “Still Life” en sont les moments de bravoure. Mais le groupe implose en plein enregistrement : Butler quitte le navire, laissant Anderson seul face au naufrage.

Coming Up” (1996) : la résurrection pop

Contre toute attente, Suede rebondit avec un nouvel album, plus direct, presque pop. “Coming Up” révèle un groupe réinventé, porté par un jeune prodige de la guitare, Richard Oakes, et une série de tubes imparables (“Trash“, “Beautiful Ones“, “Saturday Night“). Ce virage coloré et accessible leur assure un immense succès commercial, mais le feu sacré de “Dog Man Star” semble hélas déjà loin.

Head Music” (1999) et A New Morning (2002) : le déclin

Après la flamboyance, le groupe s’enfonce dans des errances électroniques peu convaincantes (“Head Music“) et un retour aux sources trop fade (“A New Morning“). Anderson lutte contre ses addictions et l’inspiration se tarit. En 2003, Suede annonce sa séparation dans une relative indifférence. En tout cas on en moins parlé que de la bagarre des frères Gallagher dans les coulisses de Rock en Seine.

Bloodsports” (2013), “Night Thoughts” (2016) et “The Blue Hour” (2018) : la renaissance sombre

Dix ans plus tard, contre toute attente, Suede revient. Avec “Bloodsports“, le groupe retrouve l’urgence et la grandeur des premiers jours. “Night Thoughts” pousse encore plus loin l’introspection, accompagné d’un film immersif. “The Blue Hour” clôt cette trilogie du renouveau avec un son cinématographique et spectral.

En 2022, Suede confirme qu’il a su retrouver son mojo avec le live “Autofiction“, un disque forcément plus brut et nerveux, renouant avec l’énergie de leurs débuts. Un ultime pied de nez à la nostalgie : Suede est toujours vivant, et il mord encore.

J-Marc Grosdemouge