“Sulfur” : tirer avant de penser
Dans “Sulfur“, on ne joue pas : on réagit. Le jeu transforme chaque salle en micro-panique contrôlée, chaque tir en décision microscopique. C’est nerveux, presque clinique, mais traversé d’une énergie punk qui rappelle les shooters PC d’avant la standardisation. Un roguelite qui s’autorise encore à être bizarre – et donc vivant.
Il y a, dans “Sulfur“, une façon très particulière de se tenir au monde. Le personnage ne court pas : il glisse, il trébuche un peu, il est toujours à deux doigts de perdre l’équilibre. Le jeu aussi. Structurellement, c’est un roguelite de plus -salles générées, butin aléatoire, boss calibrés. Mais ce qui reste, après coup, c’est la sensation d’avoir passé une demi-heure dans un espace mental plus que dans un labyrinthe.
Les développeurs ont compris que la nervosité n’est pas une question de vitesse, mais de fragilité. Tout, dans Sulfur, semble prêt à casser : les tuyaux qui vibrent dans les murs, les créatures semi-mécaniques qui stride comme des erreurs de rendu, les armes bricolées qui ont l’air de sortir d’un garage toxique. Visuellement, on navigue quelque part entre “Teardown, Receiver” et un vieil album de Godflesh. Le jeu cultive ce grain industriel, sale, sans jamais sombrer dans la boue esthétique.
Mais ce qui m’a vraiment accroché, c’est la physicalité du tir. Chaque arme a son poids, son recul, son délai microscopique. On ressent la friction, le métal, la sueur froide. “Sulfur” ne cherche pas le spectaculaire ; il cherche l’impact. Chaque micro-esquive déclenche une boucle interne où le joueur cesse d’observer pour se laisser posséder. On joue à l’instinct, presque à l’aveugle. Le jeu ne félicite jamais – il laisse les mains trembler toutes seules.
On pourrait croire à une énième expérience volontairement obscure. Mais Sulfur a un humour discret, presque tendre. Des détails de level design qui clignent de l’œil, des ennemis qui meurent avec la grâce involontaire d’une marionnette usée, des sons qui semblent enregistrés dans une cuisine vide. Ça respire. Ça vit. À l’heure où les roguelites s’empilent comme des playlists Spotify, “Sulfur” réussit l’essentiel : il a une voix. Une voix grésillante, cabossée, mais qui refuse de se fondre dans le bruit blanc du marché.
★★★★☆
Jeu sur PC et Switch
