Par dessus l’étang, soudain j’ai vu passer les oies cendrées
Une BD qui pose la question du désir quand le corps change d’âge : tendre, troublante, parfois drôle et toujours sensible. “Les oies cendrées” tient sa ligne sans complaisance ni pathos, et c’est précisément ce qui la rend nécessaire.
“Les oies cendrées” est un album qui vous prend par le collet dès la première planche et ne vous lâche plus. Parce qu’elle abat deux idées reçues d’un seul trait : que la question du désir est une affaire de jeunesse, et que parler des corps vieillissants sur la page revient forcément au misérabilisme. Ici ni chant du cygne ni catalogue des doléances : Alice VDM au dessin et Cyril Legrais au récit explorent avec une délicatesse farouche un terrain rarement occupé par la BD grand public.
Le choix éditorial compte : chez Futuropolis, l’album trouve une maison qui sait accompagner les voix atypiques -et le format collectif/épuré du livre sert le propos. Les auteurs n’hésitent pas à confronter le rire et l’émotion, à jouer des silences, à confier au trait des détails que la parole mettrait trop longtemps à formuler. Le dessin ne cherche jamais l’effet, il inscrit des gestes, un regard, une hésitation, une main qui tente de retrouver une chaleur.
Ce qui frappe, c’est l’honnêteté du regard. La BD ne gomme ni la gêne ni les maladresses ; elle les transforme en matériau narratif. Ce n’est pas de la « grande oeuvre » qui hurle sa bonne conscience, mais un ouvrage de modestie active : il écoute, il observe, il restitue des moments où le désir survient comme une surprise, parfois honteuse, parfois rieuse. Dans le paysage 2024–2025, où la BD se repense sans cesse (intime, politique, expérimentale), cet album affirme qu’il reste de la place pour les récits qui parlent aux corps d’abord.

Autre mérite : l’album trouve aussi un public. Les lecteurs et chroniqueurs citent régulièrement ce genre de parutions quand ils cherchent des œuvres « qui font sentir » plutôt que « qui expliquent ». Les palmarès lecteurs et sélections de l’année montrent d’ailleurs une appétence renouvelée pour les récits intimistes et sensibles — preuve que la bande dessinée contemporaine sait encore surprendre sans grandiloquence. “Les oies cendrées” n’est pas une leçon, c’est une conversation. Une BD qui parle bas et frappe juste, qui rend au désir sa part d’imprévisible, même quand les corps se font discrets. On en sort plus riche d’humanité et curieux des petites flammes qui s’allument tardivement.
“Les oies cendrées” Alice VDM & Cyril Legrais, Futuropolis, 2025
★★★✩☆
